La notion de biens à double usage fait référence à un groupe de produits, d'équipements ou de produits chimiques destinés principalement à un usage civil pacifique, tels que : l'industrie, l'agriculture, la santé, l'électricité et l'économie, mais qui peuvent en même temps être utilisés pour développer des armes et fabriquer des explosifs mortels. Certains de ces biens peuvent être utilisés à des fins militaires conventionnelles, tandis que d'autres pour fabriquer des armes plus dangereuses, nucléaires et biologiques, soient-elles. Les Etats sont confrontés à un dilemme sécuritaire majeur en raison de la propagation de ces matériaux, en particulier lorsqu'ils sont exploités par des groupes terroristes, en l'absence d'un mécanisme solide pour surveiller et contrôler leur vente et leur achat.

Longue liste

Il existe une longue liste de biens pouvant avoir un double usage, notamment des matières premières, des équipements, des produits techniques et des données scientifiques et techniques, telles les puces électroniques (semi-conducteurs), qui présentent de grands avantages dans la gestion des appareils et l'exploration spatiale, mais si ces puces et d'autres technologies avancées et sensibles tombent entre les mains de mauvais acteurs, elles seront utilisées de manière malveillante et mortelle, comme de diriger des missiles et des drones vers des cibles pour le sabotage de zones vitales. De même, les centrales nucléaires fournissent de l'électricité à des millions de personnes, mais leurs matières nucléaires peuvent être utilisées pour fabriquer des armes destructrices. Certains engrais sont utilisés aussi pour faire pousser des cultures, et en même temps, ils peuvent servir pour fabriquer des explosifs improvisés mortels.

Les groupes terroristes cherchent de manière agressive à obtenir de grandes quantités de ces matières pour développer des armes et accroître leur capacité à mener des attaques plus meurtrières. Les groupes terroristes obtiennent ces matériaux par des moyens légitimes, comme l'achat, ou par des moyens illégaux, comme le vol et la contrebande.

Risques innombrables

Les observateurs signalent des milliers d'incidents au cours desquels des biens à double usage ont été utilisés pour fabriquer des armes et des explosifs, et commettre des opérations terroristes, individuelles ou collectives, ayant fait des victimes innocentes. Le 9 octobre 2019, un extrémiste allemand a attaqué un restaurant turc et une synagogue juive à Halle, en Allemagne, entraînant la mort de deux civils. L'enquête a montré que l'auteur de cette opération avait utilisé des armes réalisées avec une imprimante 3D. L'extrémiste de droite Stefan B. a admis qu'il était capable de fabriquer une mitrailleuse de 9 mm, un fusil de calibre 12 et un pistolet à l'aide de cette imprimante, en utilisant des matériaux tels que l'acier, le bois et le plastique, ou une arme semi-automatique en plastique.

Malgré l'énorme potentiel de cette imprimante utilisée dans de nombreux domaines vitaux et utiles, tels que l'industrie des transports, voitures, navires et avions, le domaine médical, pour la fabrication d'organes et de fibres humains, le domaine du bâtiment et de la construction, comme la construction de maisons et de bureaux, et dans le domaine de la pharmacie, comme la fabrication de médicaments et de cosmétiques, elle a été utilisée de manière meurtrière lorsqu'elle est tombée entre les mains d'un extrémiste de droite.

La Fondation pour la Recherche sur les Armements de Conflit (CAR) a préparé un rapport d'enquête publié en décembre 2017, sur les sources d'acquisition d'armes par les groupes terroristes, en l'appliquant à l'organisation terroriste Daech. Le rapport (ISIS Weapons) conclut que l'une des sources de ces armes était des biens à double usage. L'organisation terroriste exploitait ces biens disponibles pour fabriquer ses propres armes sales. En Syrie, elle a créé une unité de production d'engins explosifs et d'armes improvisées, fabriqués à partir de ferraille, de produits chimiques ménagers courants (détergents, etc.) et de matériaux disponibles dans les magasins traditionnels. Le rapport parle des produits utilisés dans la fabrication de ces armes et explosifs : engrais composés de nitrates, produits chimiques disponibles pour la production d'explosifs artisanaux, pâte d'aluminium, sorbitol pour la production de carburant liquide pour missiles.

L'organisation a eu un évident intérêt aussi aux petits drones vendus dans les magasins spécialisés ou sur les sites Internet, en raison de son importance opérationnelle et de sa capacité à développer ses actions offensives. Les combattants de Daech utilisent les drones pour la surveillance, la reconnaissance, le guidage de tirs indirects et la livraison de petits engins explosifs improvisés. En général, l'organisation terroriste Daech obtient ces matériaux et produits via ses réseaux personnels locaux et ses plateformes commerciales mondiales de commerce électronique.

Mises en garde sécuritaires

Ces données et les craintes qui en découlent ont incité les experts antiterroristes à émettre de sévères avertissements sur les conséquences désastreuses résultant de l'utilisation de ces biens par les terroristes. Selon les déclarations de Mark Rowley, chef de la police de Londres, les terroristes pourraient utiliser ces produits pour fabriquer des bombes, des fusils, des balles ou des armes plus perfectionnées.

Comme il est difficile pour les services de sécurité de découvrir ces éléments, cette question est considérée comme une menace majeure et une évolution notable de l'activité terroriste. Cette proposition est conforme aux aveux de l'auteur d'extrême droite de l'attaque contre le restaurant turc et la synagogue de la ville allemande de Halle, qui a confirmé que le but de l'opération terroriste n'était pas seulement de faire des morts, mais plutôt prouver la faisabilité de ces armes et guider les extrémistes dans la production et le développement de nouveaux outils de terrorisme.

Les gouvernements et les sociétés sont donc confrontés à un défi majeur qui nécessite des efforts conjoints pour parvenir à un équilibre entre l'utilisation pacifique et sûre de ces matériaux et la prévention de leurs effets négatifs et destructeurs. Dans ce contexte, les pays et les organisations internationales s'efforcent d'imposer des lois pour contrôler l'exportation et l'importation des matériaux et technologies concernés, fournir des mécanismes pour les surveiller et empêcher leur utilisation dans des actes illégaux. De plus, les Etats et les organes de sécurité s'efforcent d'échanger des informations et prennent les mesures nécessaires pour empêcher la contrebande de ces marchandises à travers les frontières ou illégalement.

Fondation de Wassenaar

L'accord de Wassenaar est l'un des accords et arrangements multilatéraux les plus célèbres traitant du contrôle de l'exportation, de l'achat et de l'utilisation d'armes conventionnelles et de biens et technologies à double usage. Cet accord a été conclu en juillet 1996 par 33 pays, rejoints ensuite par 9 autres pays, portant le total à 42 pays, notamment : États-Unis d'Amérique, Royaume-Uni, France, Argentine, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Croatie, Allemagne, Italie et Japon. Le Secrétariat permanent de l'Accord de Wassenaar est situé à Vienne et son Assemblée générale se réunit une fois par an, tandis que ses organes subsidiaires se réunissent régulièrement.

Wassenaar vise à instaurer la confiance, atteindre les plus hauts niveaux de responsabilité dans le transfert d'armes et de biens à double usage, garantir qu'ils ne contribuent pas au développement ou au renforcement de capacités militaires qui nuisent à la sécurité et à la stabilité régionales et internationales, et empêcher strictement les terroristes de posséder ces armes ou matériaux.

Cet accord renforce les systèmes de contrôle de non-prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, ainsi que d'autres mesures internationalement reconnues visant à accroître la transparence et à accroître la responsabilité.

Le caractère juridique informel de l'Accord de Wassenaar repose sur un engagement politique que reflètent les éléments initiaux et les textes et déclarations complémentaires adoptés à l'unanimité par les États participants. Toutes les décisions dans le cadre de Wassenaar sont prises par consensus et les États, au niveau politique, s'engagent à ce qui suit :

  • Suivre les lignes directrices et les pratiques adoptées dans l'Accord de Wassenaar.
  • Les Etats contrôlent, conformément à leur législation nationale, l'exportation des biens figurant sur la liste militaire et la liste des biens à double usage annexée à l'accord.
  • Rapporter les transferts d'armes conventionnelles et de biens hautement sensibles pour respecter le principe de transparence.
  • Échanger les informations sur l'exportation de biens et de technologies à double usage très sensibles.

Mettre à jour des contrôles

Les listes de contrôles sont mises à jour chaque année par une équipe d'experts en fonction de l'évolution des technologies ou des matériaux à double usage et du régime de contrôle des exportations d'armes conventionnelles et de biens, technologies et armes à double usage. La liste militaire de Wassenaar est incluse dans la liste militaire commune européenne des équipements militaires, et la liste des biens à double usage est incluse dans le règlement européen sur le contrôle des exportations de biens et technologies à double usage (règlement CE n° 428/2009, modifié par le Règlement n° 1232/2011 du Parlement européen et du Conseil européen du 16 novembre 2011, le Règlement n° 388/2012 du Parlement européen et du Conseil du 19 avril 2012 et le Règlement n° 599/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014). Les contrôles à l'exportation restent soumis à la souveraineté de chaque pays participant.

Wassenaar s'efforce de sensibiliser les gouvernements à l'importance de revoir leurs lois et d'améliorer leurs réglementations liées à l'exportation de marchandises suspectes, et de former les travailleurs sur le terrain sur la façon d'identifier ces marchandises et d'évaluer les menaces potentielles pour la sécurité qui peuvent en découler, avec la nécessité de coopération internationale dans la collecte d'informations liées à la circulation des biens destinés à double usage, l'identification des risques potentiels pour la sécurité et le développement de solutions appropriées.

En conclusion

Les mesures de Wassenaar peuvent être efficaces pour surveiller les armes et les biens les plus avancés, ce qui constitue une étape importante pour limiter leur accès aux groupes terroristes, mais les biens et les matériaux facilement disponibles dans les magasins traditionnels demeurent un dilemme en attendant des solutions plus efficaces qui contribuent à maintenir la sécurité et la stabilité.