La doctrine intellectuelle adoptée par le mouvement du «Sentier Lumineux» au Pérou avant les années quatre-vingt du siècle dernier a contribué à attirer des milliers de combattants et de sympathisants au sein de cette communauté latine, qui semblait alors fragile en raison des disparités sociales et économiques entre les classes. Cependant, le succès de la Police Nationale qui a mené une opération de sécurité rigoureuse et arrêté le chef et fondateur de l'organisation, Dr Abimael Guzmán et nombre de ses collaborateurs, le 12 septembre 1992, a eu un impact significatif sur la perte du prestige légendaire de l'organisation rebelle, l'amenant à finir par se diviser et se fragmenter, avant de s'effondrer et de disparaître.

Il ne fait aucun doute que les crimes perpétrés par le «Sentier lumineux» à partir des années 1980 en ont fait l'organisation révolutionnaire de gauche la plus importante et la plus violente du Pérou. Elle a commis des opérations terroristes odieuses qui ont coûté la vie à environ 70 000 citoyens innocents. L'approche sanglante que ces rebelles ont adoptée pour mettre en œuvre leurs plans a contribué, au fil du temps, à creuser un fossé intellectuel entre eux et ceux ciblés par la polarisation du monde paysan et les groupes marginalisés au sein de cette société latine.

Quoi qu'il en soit, avant d'approfondir les raisons générales de cet effondrement et ses conséquences, cet article met en lumière les débuts de cette organisation, née comme un simple groupe universitaire devenu ensuite une force militaire brutale et terroriste qui a pu assiéger la capitale, Lima, et couper les approvisionnements après avoir pris le contrôle de nombreuses zones stratégiques du pays.

De l'université à la montagne

Les raisons qui conduisent à l'émergence et à l'expansion d'organisations terroristes armées dans toute société sont sont liées d'une manière ou d'une autre au degré de stabilité interne à tous les niveaux. Par conséquent, l'explication du succès du Sentier lumineux et de sa capacité à mobiliser des combattants parmi les citoyens au cours des années 60 et 70 du siècle dernier est lié au degré de compréhension de certains facteurs, tels que l'inégalité sociale, économique et politique qui prévalaient dans les sociétés latino-américaines, en particulier dans les sociétés peuplées de paysans et d'indigènes dominées par un petit nombre de blancs qui seuls détenaient les capacités du pays et les richesses naturelles locales.

La pseudo-démocratie qui prévalait dans de nombreux pays d'Amérique latine a de même fragilisé la situation, ce qui amené de nombreux jeunes Latins dont Dr Abimael Guzmán à imiter la révolution qui a éclaté à Cuba dans les années cinquante, en tant que projet socialiste militaire et une solution aux maux de la société.

L'histoire du «Sentier Lumineux» est liée à la vie de son fondateur, Dr Abimael Guzmán, le père spirituel devenu, aux yeux de ses disciples, «la quatrième épée du communisme», ce qui lui a valu le statut de penseur légendaire élevé au niveau de Marx, Lénine et Mao, donnant naissance à une doctrine organisationnelle basée sur sa personnalité et dont les expériences ont séduit toute une génération de Latino-Américains ayant opté pour la lutte militaire armée en guise d'acte politique qui répond à leurs aspirations. Ainsi, l'organisation du «Sentier Lumineux» a émergé des couloirs de l'Université Nationale de San Cristobal de Huamanga, où Guzmán a obtenu son diplôme et où il a été également nommé professeur de philosophie et directeur de la faculté. Ainsi, il a développé son activité politique et sa lutte au sein du Parti communiste «Drapeau rouge» au Pérou, qui s'est séparé du Parti communiste d'origine.

Il convient de noter que Guzmán a été fortement influencé par la Révolution culturelle de Mao (au milieu des années 60) après un long séjour avec son épouse en Chine. Après son retour au Pérou, un conflit politique majeur a éclaté entre lui et d'éminents dirigeants dans le Parti «Drapeau Rouge» auquel il appartenait. Il a alors créé sa propre sphère communiste appelée «Sentier Lumineux» en hommage au fondateur du Parti Socialiste, José Carlos Mariátegui, qui disait : « Le marxisme-léninisme ouvrira la voie lumineuse de la révolution ».

   Guzmán a profité de sa position de directeur de la faculté et s'est allié à de nombreux professeurs et étudiants partisans de l'idéologie marxiste-léniniste-maoïste, avant de s'implanter dans d'autres universités et remporter la présidence des conseils estudiantins et académiques. Puis l'organisation a disparu de la scène au milieu des années soixante-dix et a commencé à travailler secrètement dans les Andes au Pérou, foyer des idées extrémistes du «Sentier Lumineux». Elle commença secrètement à implanter sa doctrine intellectuelle et militaire extrémiste parmi les paysans irrités par les différences de classes.

Recrudescence du terrorisme

L'activité armée des éléments du «Sentier lumineux» a commencé à devenir apparente au public le 17 mai 1980, lorsque ses membres ont brûlé les urnes à la veille des premières élections présidentielles après 12 ans de régime militaire. Cette attaque a été suivie par d'autres opérations violentes visant à gagner la sympathie des paysans en s'emparant des pouvoirs du gouvernement central. L'organisation s'est arrogé le « pouvoir judiciaire » dans plusieurs régions en procédant à des «procès populaires» contre des personnes désavouées par les paysans, comme les voleurs de bétail, les usurpateurs de terres, les grands agriculteurs corrompus ou les commerçants avides. Ces actes ont renforcé sa popularité et son idéologie et augmenté le nombre de leurs combattants. Cette expansion s'est produite en l'absence du gouvernement, qui s'est retiré de nombreuses zones rurales ou a limité son intervention à de faibles agents de sécurité.

En avril 1982, l'organisation a tué plusieurs policiers lors de son attaque contre la prison Ayacucho pour libérer certains de ses membres. Les autorités ont alors déclaré l'état d'urgence et les forces armées péruviennes et les groupes locaux d'autodéfense ont dû intervenir. Dans les années quatre-vingt, les membres de l'organisation adoptaient la violence et bâtissaient leur doctrine sur l'idée de «l'impôt de sang» devant être versé pour remporter la victoire et édifier un nouvel État communiste. Ainsi tout devint permis. Les combattants ne portaient pas d'uniforme militaire, se camouflaient dans la population, ouvrant la voie à des représailles militaires contre les civils innocents.

Ce n'était pas non plus pure coïncidence, car Guzmán pensait qu'il était valable de recourir à la vérité ou au mensonge pour attiser la haine parmi le peuple à l'égard du gouvernement péruvien. Ce manque de moralité s'est manifesté dans l'émergence de multiples formes de violence contre les agents de l'État, et les partisans justifiaient leurs attaques, enlèvements, exécutions, attentats à la bombe et massacres commis injustement comme étant des «punitions dissuasives». En 1983, l'organisation a commis le massacre de Lucanamarca et celui d'Okorachai. Le premier était une vengeance contre les opposants de dirigeants locaux et le second était une punition pour avoir aidé l'armée nationale.

Le 16 juillet 1984, un massacre similaire a eu lieu, connu sous le nom de « Bus de la mort », au cours duquel des membres du «Sentier Lumineux» ont saisi un bus et tué 116 de ses passagers à coups de pierres, de marteaux et d'armes à feu. En 1985, deux explosions de voitures piégées ont eu lieu au «Palais de Justice» et au «Palais du Gouvernement». En 1986, des émeutes simultanées de détenus du «Sentier lumineux» ont éclaté dans les prisons d'Organcho, El Fronton et Santa Barbara. Cette la violence systématique s'est étendue aux infrastructures et aux lignes électriques des villes telles que Huancayo, Cerro de Pasco, Abancay, Ayacucho et Lima.

Entre 1989 et 1992, Guzmán reconnaît le début d'une nouvelle phase de sa guerre populaire dans ses écrits intitulés « La Pensée de Gonzalo », appelant à un «équilibre stratégique», et à l'escalade de la violence sous toutes ses formes. La société péruvienne était en proie à une profonde crise économique d'inflation et d'instabilité institutionnelle, poussant le sentier Lumineux à davantage d'extrémisme. L'Holocauste d'Ashanninka était un exemple frappant de ces abus contre les autochtones, beaucoup ayant été tués et les autres déplacés de force ou kidnappés.

Repli du terrorisme

La brutalité des membres du «Sentier Lumineux» a progressivement éloigné d'eux la communauté paysanne, conséquence logique du sadisme pratiqué dans les pseudo «procès populaires», ayant adopté l'exécution par lapidation ou décapitation. La répugnance des citoyens était le résultat de l'agression systématique menée par l'organisation contre tout dirigeant local qui n'était pas membre de l'organisation, ce qui a abouti à la formation d'un régime autoritaire primitif dans ces zones marginalisées.

Il ne fait aucun doute que l'adoption par l'organisation d'attaques sanglantes sur les marchés locaux a contribué à accroître cette aversion populaire et accru le stéréotype sanglant de Guzmán, notamment après le siège de la ville de Lima en vue d'affamer et de tuer ses opposants. Les répercussions de cette violence excessive ont commencé à apparaître dans la société civile et sur le spectre politique en 1990. Cette approche s'est poursuivie jusqu'à l'accès à la présidence d'Alberto Fujimori qui a adopté une série de réformes, notamment la publication d'un décret législatif accordant aux groupes d'autodéfense locaux le pouvoir légal d'affronter et de combattre l'organisation du «Sentier lumineux».

Un autre aspect novateur dans les actions entreprises par Fujimori, était la stratégie visant à «couper la tête du serpent». Les enquêtes menées par les renseignements péruviens ont révélé que Guzmán ne se cachait pas dans les zones montagneuses, mais plutôt dans la ville de Lima, parvenant même à découvrir certains aspects de sa vie privée, comme le type de tabac qu'il fumait et le psoriasis dont il souffrait.

Les services de renseignement ont dû agir astucieusement pour éviter les soupçons en analysant les déchets de toutes les maisons de la ville de Lima, jusqu'à ce que la police ait trouvé les restes d'un certain type de cigarettes et d'emballages de médicaments pour traiter le psoriasis. L'enquête devait permettre enfin de découvrir la cachette de Guzmán dans un appartement des quartiers riches de la capitale, Lima.

La police a pu ainsi arrêter la « Quatrième épée du communisme » (Guzmán) le 12 septembre 1992 sans aucune résistance de sa part, ainsi que quatre femmes (dont l'une était son épouse) qui faisaient partie de la direction centrale de l'organisation. Le 20 octobre 1992, Guzmán présenta un accord de paix que le reste des dirigeants de l'organisation signèrent plus tard (en décembre 1993). Cependant, ils ont tous été jugés et condamnés à la réclusion à perpétuité.

Conclusion

L'organisation du «Sentier lumineux» a commencé à apparaître dans les années quatre-vingt et son terrorisme s'est intensifié sans arrêt jusqu'à l'arrestation de Guzmán dans les années quatre-vingt-dix. Les anciens membres de l'organisation se réorganisèrent sous le couvert d'une organisation civile connue sous le nom de «Mouvement pour l'amnistie et les droits fondamentaux des prisonniers politiques», qui a tenté de devenir un parti politique, mais n'a pas été autorisé à le faire.

Guzmán est décédé après avoir été condamné à perpétuité dans la prison de haute sécurité de la base navale de Callao le 11 septembre 2021, à l'âge de 86 ans. Sa mort a marqué la fin de l'organisation, certains petits groupes affirmant que le «Sentier lumineux» continue d'exister à ce jour. En fait, certaines entités anti-régime au Pérou utilisent l'approche de Guzmán comme modèle d'action et comme bannière pour appuyer leurs revendications.​