L’absence d’un État national capable d’étendre son influence sur l’ensemble de ses frontières géographiques offre aux organisations terroristes des opportunités de croissance. Celles-ci exploitent les vastes frontières pour faire passer clandestinement des armes, vendre de la drogue et recruter de nouveaux éléments. Elles peuvent également mettre à profit les endroits au relief accidenté, loin de la surveillance des gouvernements centraux, pour établir des camps d’entraînement dans des régions reculées, notamment dans les zones désertiques, en plus d’utiliser les grottes des montagnes pour abriter ses membres, établir des points d’inspection et de surveillance et sécuriser les approvisionnements, les canaux de communication et les centres de commandement.

La relation inverse entre la capacité des gouvernements centraux à sécuriser la nature géographique de l’État national et le développement des factions armées et des organisations terroristes en son sein est la même relation qui existe entre la stabilité des systèmes politiques au pouvoir et la prolifération de ces groupes. Par conséquent, les crises géopolitiques successives qui ont eu lieu ces dernières années comptent parmi les raisons fondamentales conduisant à des taux élevés de conflits et de guerres à l’échelle mondiale. Elles constituent un environnement fertile pour la mise en œuvre de stratégies terroristes qui évoluent en fonction de la nature des événements. Avant d’entrer dans les détails et donner des exemples de certains pays, il importe de mettre en lumière les différentes stratégies utilisées par Al-Qaïda et Daech, les premiers qui profitent de l’état de conflit et de crise qui frappe de nombreux pays.

Les stratégies d’Al-Qaïda
Al-Qaïda se concentre dans sa stratégie à soutenir les groupes terroristes qui lui sont affiliés dans divers pays. Elle a pu restructurer ses organisations au niveau de la direction et des cellules, et a prêté attention aux mécanismes de mobilisation, de formation et de recrutement, notamment auprès de la nouvelle génération. Elle a également accordé une grande indépendance à ses membres au niveau de la mise en œuvre, ainsi qu’au niveau des médias et de la propagande. En outre, elle a créé des alliances locales entre ses factions et entre des clans et des tribus pour consolider ses relations et les mettre au service de ses intérêts, ce qui lui a permis de « gagner en popularité » sans difficulté, et d’engendrer de lourdes pertes et des répercussions négatives à la région.

L’organisation a accordé une attention particulière à étendre ses opérations terroristes aux pays de la région voisins des zones où se basent ses factions, dans le but d’élargir la portée des événements et d’atteindre ses objectifs inhumains. Sur le plan interne, elle a élaboré ses stratégies en ciblant les gouvernements centraux et les entités alliées à des pays étrangers ou soutenues par ces derniers. L’organisation cherche à créer une large base populaire pour parvenir à un consensus pour assurer la protection de ses membres, faciliter l’attraction et le recrutement de nouveaux éléments et fournir un soutien logistique à ses opérations.

La stratégie de Daech
La stratégie de Daech a évolué ces dernières années, passant de la confrontation militaire directe aux méthodes d’insurrection et de guérilla. Son objectif est désormais d’infliger le maximum de dégâts à l’entité qu’elle considère comme « ennemi » et de mener des opérations qui ne nécessitent pas un grand nombre de combattants, mais qui sont réalisées par de petites cellules qui lui sont affiliées. Globalement, on peut dire que l’organisation terroriste adopte actuellement quatre stratégies :
  • La guerre d’usure: elle consiste dans le recours aux engins explosifs artisanaux, aux embuscades, aux assassinats et enlèvements, à l’incendie de maisons et des champs, aux attaques contre les infrastructures civiles.
  • Porter atteinte à l’économie nationale: cela se traduit par le lancement d’attaques contre des installations économiques publiques et privées: puits de pétrole, poteaux électriques, antennes de communication, centres commerciaux, et sites archéologiques et touristiques.
  • Faire évader les prisonniers: stratégie qui a pour slogan « destruction des murs » et qui a pour but de faire évader ses partisans et ses recrues. Au cours des deux dernières années, Daech a lancé des attaques contre des prisons en Afghanistan, au Congo, en Syrie et au Nigeria.
  • Cibler les minorités: le ciblage des minorités, notamment religieuses, est devenu un élément essentiel de la stratégie de l’organisation. Son objectif est de renforcer leurs tendances séparatistes, de semer la discorde parmi les enfants d’une même nation.
Il existe des exemples frappants de cas d’instabilité politique dans lesquels les organisations terroristes Daech et Al-Qaïda ont imposé leur présence en exploitant la fragilité de la situation interne de l’État et en faisant croire qu’elles constituaient des alternatives aux gouvernements locaux.

Dans ce qui suit, nous jetons la lumière sur trois pays : le Yémen, la Somalie et l’Irak.

La situation au Yémen
La situation sécuritaire au Yémen a connu une détérioration significative depuis 2009. Le Yémen se caractérise par une géographie accidentée et une position géostratégique importante sur la mer Rouge, le golfe d’Aden et Bab al-Mandab. Le Yémen souffre de la présence de forces armées en dehors du cadre de l’État, comme les Houthis et les forces du sud qui appellent à la sécession, en plus d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique.

Après avoir exploité la guerre civile qui s’est intensifiée entre 2015 et 2017, Al-Qaïda au Yémen a commencé à faiblir militairement en 2018 jusqu’à mi-2022, puis a retrouvé des forces en septembre 2022, qui a vu sa production de contenus médiatiques augmenter.

Toutes ces transformations et adaptations à la réalité du terrain ont fait de l’état de l’organisation Al-Qaïda le centre d’attention des enquêtes pour en clarifier les raisons, en particulier après que Saïf al-Adl (Muhammad Salah al-Din Zaidan) a pris la direction de l’organisation centrale d’Al-Qaïda, et la confirmation des rumeurs concernant l’arrivée de son fils Khalid au Yémen en 2020 pour mener la bataille dite « Ibn al-Madani ».

La situation en Somalie
La Somalie se caractérise par sa position géographique stratégique sur le golfe d’Aden et l’océan Indien, ainsi que par la propagation de la violence et de l’instabilité politique. Malgré les campagnes antiterroristes de plus en plus nombreuses lancées par les communautés régionales et internationales, en plus des efforts du gouvernement fédéral local, de sérieuses menaces sécuritaires subsistent. En 2022, plus de 3 000 actes violents et 6 500 meurtres confirmés ont été enregistrés. La plupart des attaques terroristes lancées par Daech en Afrique sont perpétrées en Somalie, où sont actives des cellules affiliées à plusieurs organisations, notamment : Al-Qaïda, Al-Shabaab et la branche somalienne de Daech, qui s’est séparée d’Al-Shabaab. Toutes ces organisations figurent sur les listes terroristes internationales. Celles-ci ciblent de nombreuses entités : la police, l’armée, le gouvernement fédéral, les armées de l’Ouganda, du Kenya et de l’Éthiopie, les Forces de l’Union africaine (ATMIS), les responsables étrangers, la Mission des Nations unies (MANUSOM), les clans et tribus soutenant le gouvernement.

Au début de l’année 2022, Al-Shabaab et la branche somalienne de Daech ont mené environ 2 400 attaques. Bien que les deux groupes aient été témoins de nombreux échecs et de pressions croissantes de la part des efforts antiterroristes aux niveaux local, régional et international, la plupart des régions en proie à la crise et à l’instabilité demeurent des cibles faciles pour les attaques quotidiennes, comme les régions administratives du Bas-Shabelle, du Moyen-Shabelle, de Hiran et de Banadir, ainsi que les régions administratives de Mogadiscio, Bay, Bakool, Juba, Galguduud, Puntland et Mudug.

La situation en Irak
L’Irak souffre de la présence de multiples allégeances religieuses et politiques, de troubles civils, d’une criminalité généralisée et de menaces environnementales et sanitaires. Cela a facilité la mission des organisations terroristes, notamment Daech, qui a poursuivi ses activités sans relâche au cours des deux dernières années et a intensifié ses crimes dans ses zones d’influence, en exploitant les nombreux problèmes internes et la nature du relief qui leur est familier. Les régions de Salah al-Din, Kirkouk et Diyala, qui comprennent des vallées et des chaînes de montagnes, font partie des zones géographiques et des centres d’activité les plus importants de l’organisation, en plus des vastes zones désertiques qui lui ont permis d’y déployer son activité.

L’organisation terroriste Daech en Irak a reformulé sa stratégie de combat en fonction de la nouvelle réalité et s’est appuyée sur la mise en œuvre de deux stratégies : la « guerre d’usure » et « la mise à genoux de l’économie », car celles-ci ne nécessitent pas un grand nombre de combattants et visent à semer le chaos, à déstabiliser, à accroître la violence sociale et sectaire et à réduire les ressources de l’État. En parallèle, Daech a établi des contacts avec les citoyens et les factions dans les endroits où elle est active pour obtenir des moyens d’autofinancement, notamment en s’engageant dans des activités économiques illégales, en garantissant la fourniture d’armes et de véhicules, en facilitant le recrutement, en obtenant de la nourriture, des médicaments, et tout ce dont elle a besoin pour continuer à exister.

En conclusion
Il ressort de ce qui précède qu’Al-Qaïda et Daech exploitent de plus en plus les conflits internes pour mettre en œuvre leurs plans terroristes et criminels, en particulier dans les trois pays mentionnés dans cet article. Dans le même temps, elles poursuivent leurs efforts pour étendre leurs opérations aux niveaux régional et international. La faiblesse des systèmes politiques et les problèmes non résolus dans plusieurs régions jouent un rôle majeur dans leur résistance face aux opérations antiterroristes.

Par conséquent, la pression sur ces organisations doit s’accroître par le moyen d’opérations militaires pour lutter contre le terrorisme qui sont importantes non seulement pour arrêter ou tuer les dirigeants, mais aussi pour obtenir des informations stratégiques pour comprendre les aspects logistiques, la hiérarchie et les éléments organisationnels de ces groupes terroristes.

La communauté internationale doit également être prudente dans sa guerre contre le terrorisme en soutenant les gouvernements et dirigeants civils et démocratiques. Elle doit également chercher à tarir les sources de financement du terrorisme, à améliorer l’État de droit, à maintenir un système judiciaire efficace, à consulter la société civile, y compris les clans et les tribus, à lutter contre la corruption, à soutenir l’amélioration des aspects économiques, notamment ceux liés à l’emploi, et à attirer l’attention du public sur les dangers de ces organisations terroristes.