Le phénomène de la radicalisation violente apparaît aujourd’hui comme une menace possible à la cohésion sociale en Italie. Bien que le djihadisme transnational n’ait pas touché ce pays jusqu’à présent, l’alarme a incité les institutions publiques à se concentrer sur le développement de stratégies de contraste et de prévention adéquates.

Dans ce contexte, au-delà des actions répressives et du renseignement, l’importance préventive et contrastée des « contre-discours » visant à réfuter le prosélytisme extrémiste et à proposer des visions alternatives à celles proposées par la communication des groupes terroristes a été prise en considération. Une action qui a cet objectif ne peut renoncer à un mode multi-niveaux et multi-agences (Battistelli 2013), coordonnant non seulement les institutions mais aussi des pans importants de la société civile, mais surtout pour ne pas se limiter à démontrer la fausseté de la communication des extrémistes violents et d’offrir à la place des stéréotypes de la propagande extrémiste la voie d’une connaissance efficace, basée sur un engagement intellectuel ordonné et continu.

Face à un phénomène tel que celui d’un extrémisme qui prétend avoir une interprétation authentique de l’islam, l’importance de la communication religieuse et donc le rôle des acteurs religieux dans ce domaine est depuis longtemps reconnu. Depuis vingt ans, les imams, leur profil socioculturel, leur connaissance des sciences religieuses, leurs relations avec la politique, sont devenus des sujets d’étude. Avec l’émergence de la menace jihadiste, leur rôle vis-à-vis de la gestion du phénomène et du problème de leur formation est devenu de plus en plus crucial.

Cette contribution illustre les éléments originaux de la voie italienne de la prévention qui consiste en un projet pilote financé par le gouvernement italien, où les véritables protagonistes se révèlent être les acteurs académiques et les lieux de la connaissance scientifique (un réseau des universités italiennes et celles de certains pays de l’Organisation de la Coopération Islamique-OCI).

L’«Imamat» en Europe et la question de la formation  
 
En Europe, la question de la formation des imams a commencé à apparaître importante bien avant le 11 Septembre 2001. En Angleterre et en Belgique, où la présence de la population musulmane est déjà importante, les premières expérimentations de stages de formation de guides religieux ont été enregistrées dans les années 80 (Peter 2018). Le rôle des imams dans l’évolution des communautés islamiques est de plus en plus conçu comme l’objet d’une éventuelle intervention visant à consolider l’inclusion des musulmans dans les sociétés d’accueil (Pace, Rhazzali 2018), à prévenir les conflits et surtout à proposer une image de la religion islamique incompatible avec celle évoquée dans la propagande des groupes radicalisés.

Les imams commencent par assurer des services liturgiques essentiels pour sortir progressivement du domaine religieux et faire face à des problèmes plus larges: aider les malades et les prisonniers, enseigner la religion, gérer les conflits familiaux, représenter sa religion et sa communauté en tant qu’expert (Hashas, de Ruiter, Valdemar Vinding, 2018). Cette évolution semble créer progressivement un espace sans précédent pour la valorisation de la composante féminine (Rhazzali 2017). 

Il s’agit en fait d’un recadrage continu de la composante islamique plaçant en premier lieu la question de la formation du personnel religieux et des responsables communautaires de cette religion. 

Contribution des universités et partenariat avec les communautés locales islamiques 

La réunion des Ministres de l’Intérieur du G7 tenue à Ischia le 20 Octobre 2017, avec la participation du commissaire européen aux migrations, a identifié le cyberespace comme le principal domaine opérationnel pour lutter contre l’extrémisme, en plus de l’utilisation de technologies innovantes pour la suppression du contenu terroriste, avec le renforcement de l‘empowerment des partenaires de la société civile afin de développer des récits alternatifs. 

En ce sens, les recommandations de l’Union européenne et le rapport de la Commission d’étude sur le phénomène de la radicalisation et de l’extrémisme djihadiste appellent à la création de programmes ad-hoc dénommés Countering Violent Extremism-CVE, caractérisés principalement par une approche interdisciplinaire/transdisciplinaire et multi-agences, où une pluralité d’acteurs publics et privés sont impliqués. Une importance centrale est donnée au rôle potentiellement mené par la société civile, représentée par le monde du bénévolat et des associations laïques et religieuses, y compris celles islamiques.

C’est dans ce cadre que se met en place l’initiative du gouvernement italien qui, en 2019, a lancé un appel à projet par le biais du Ministère italien de l’éducation, de l’université et de la recherche: Appel MIUR-OIC-2018, visant à «promouvoir des projets de formation universitaire et postuniversitaire entre l’Italie et les États participant à l’Organisation de Coopération Islamique (OCI) pour comprendre le phénomène de la radicalisation et améliorer l’intégration en Italie; Décret exécutif n°3089 du 16/11/2018- ID 82382) .  Cette action a donc donné naissance au projet en cours de réalisation «Prévention et Interaction dans l’Espace Trans-méditerranéen» . Ainsi, pour la première fois en Europe, un ministère des universités et de la recherche fournit des ressources publiques pour financer un projet sur la prévention de la radicalisation violente, un domaine généralement réservé au Ministère de l’Intérieur ou à la présidence du Conseil des Ministres.  

Le Projet PriMED entend créer un espace de connexion et d’interface entre les institutions publiques et la société civile avec ses acteurs laïcs et religieux, visant à développer un modèle d’intervention original aux fins des politiques européennes de prévention de la radicalisation violente. Malgré le retard pris dans la reconnaissance formelle de la religion islamique à travers l’instrument juridique de l’«Intesa» (accord spécifique des droits religieux entre État et Groupes religieux), les institutions publiques nationales et locales et les acteurs de la société civile ont expérimenté depuis longtemps divers projets en partenariat avec des associations islamiques, identifiant des domaines d’intervention tant au sein de la communauté (formation du personnel religieux, cours pour ministres du culte, cours de médiation interculturelle) qu’externe (initiatives de dialogue interreligieux pour intervenir dans la vie des écoles et des prisons). 

Un aspect important du laboratoire italien est donné par le rôle que jouent de plus en plus les institutions universitaires. Dans la construction de ce laboratoire, l’activité d’un organisme universitaire qui constitue désormais un point de référence important dans le panorama scientifique internationale et aussi pour les acteurs religieux musulmans a joué un rôle primordial. Il s’agit du Centre de Recherche Interuniversitaire: FIDR (comprenant 8 unités de recherche)  qui constitue le noyau du réseau PriMED (22 universités, 12 italiennes et 10 appartenant aux pays de l’OCI: Liban, Égypte, Tunis, Algérie et Maroc), qui est arrivé en tête du classement de l’appel MIUR-OCI. 

Dans ce cadre, deux formations universitaires ont été conçues et mises en œuvre: Le Master «Études sur l’islam de l’Europe», destiné aux leaders des communautés islamiques en Italie et le «Cours de formation avancée pour Imams et Mourschidat», destiné au personnel religieux opérant dans les associations islamiques italiennes. 

Ces objectifs sont replacés dans une perspective plus large de soutien d’un islam de plus en plus conscient de ses racines européennes et italiennes.

Parmi les innovations qui caractérisent le Projet PriMED, un croisement entre l’axe de coopération et d’échange scientifiques et celui de la formation du personnel religieux a été développé. 

De toute évidence, le projet n’a pas l’intention de remplacer les communautés islamiques en ce qui concerne les compétences “théologiques” qui leur sont conférées par la législation actuelle, ni n’a l’intention d’expérimenter des cours de formation religieuse islamique qui prétendent acquérir une légitimité juridique dans le domaine religieux islamique.

Il s’agit de cours élaborés dans le cadre d’une formation postuniversitaire, destinés au personnel déjà actif dans ce domaine, développés avec l’aide des principales organisations musulmanes actives en Italie. Le projet éducatif propose aussi une analyse de l’implication de l’islam européen et italien dans l’évolution globale de la société. 

Conclusion

La formation du personnel religieux musulman est une question extrêmement importante dans la perspective d’une évolution positive de la réalité de l’islam européen. La présence de guides religieux et spirituels culturellement incompatibles avec la rhétorique et la pratique du radicalisme violent semble être une ressource décisive pour contraster la propagation de la propagande du radicalisme violent. La contribution des guides à la croissance de la qualité religieuse et civile des communautés dans lesquelles ils sont appelés à opérer et une meilleure insertion sociale devraient rendre plus probable le succès effectif des objectifs italiens.