La culture, dans son sens holistique, avec ses deux ailes élitiste et populiste, vient au premier plan des moyens qui peuvent lutter contre le terrorisme avec succès et force. Elle ne fait pas usage de méthodes brutales pour combattre les terroristes et mettre fin à leur préjudice, mais elle sape les idées qui se nichent dans leur tête et qui constituent les raisons les plus fortes qui les motivent à commettre la violence contre l’État et la société.

La culture va au-delà du simple fait de bourrer le crâne d’informations, ou de remâcher les pensées des autres sans entendement, mais elle se forge la capacité de critiquer le fait dominant et se faire une vision de soi, de la société et du monde. Elle constitue en tout état de chose soit un point d’appui pour comprendre, interpréter et prendre position, soit un cadre de référence, pour réguler les perceptions et les visions, et ne pas risquer de tomber sous l’emprise d’idées strictes et extrémistes.

Traitement intellectuel
Le terrorisme en tant qu’acte commence par des idées ou des concepts théoriques qui paraissent cohérents pour un esprit privé de la capacité d’examiner, d’étudier et de critiquer, ou pour une âme incapable de méditer, d’observer, de patienter, de mettre en doute tout ce qu’on entend et voit jusqu’à preuve du contraire et de tirer de chaque expérience un enseignement.

Le monde des idées, hâtives ou incohérentes, n’est pas le seul à provoquer la tendance à l’extrémisme, car cela peut être dû à une maladie mentale, un besoin matériel qui pousse à vouloir obtenir la protection, un lien social qui manque, un plaisir inassouvi, un défaut d’argent ou de statut social, ou tout simplement des gens chez qui on trouve refuge et affection. Mais toutes ces raisons ne peuvent maintenir l’individu dans les rangs des extrémistes, s’il n’a pas le crâne bourré de leurs pensées. En effet, l’importance du côté intellectuel ne peut être niée. comme en témoigne le fait que les terroristes qui se réclament à tort de l’Islam appartiennent à différentes classes sociales, diverses références éducatives, différents pays et à de multiples expériences de vie, quoiqu’ils puisent tous dans la même idéologie.

Certes, il est indispensable d’emprunter la voie sécuritaire ou militaire pour combattre et repousser les attaques terroristes. Mais cette solution n’est pas définitive car les incubateurs de nouveaux extrémistes fonctionnent toujours, et de leurs entrailles sortent en permanence de nouvelles recrues, ce qui nous fait dire que ce ne sont pas uniquement les conditions politiques, économiques et sociales qui comptent à cet égard, mais le volet culturel joue aussi un rôle fondamental.

Culture et concept culturel
La culture est un concept complexe qui combine la littérature, les arts, les diverses connaissances humaines, et même les sciences naturelles selon certaines conceptions. Elle englobe également l’ingéniosité populaire telle que les proverbes, les dictons, les épopées, les mythes, les images mentales et les rituels quotidiens de la vie. Tout ce patrimoine est à la portée de tous, mais l’intellectuel ne choisit pas ce qui lui convient à sa guise mais il intériorise tout cela dans son inconscient, et crée alors une vision, une position et des facultés pour critiquer soi-même et l’autre, idée ou personne, soit-il, et se forger la capacité de faire des observations et des objections, ce qui en fait une proie difficile à chasser par les tenants des croyances extrémistes et des visions outrées.

Selon les dictionnaires de la langue arabe, le terme de culture (Thaqa’fa) est issu du verbe (Thaqafa) qui signifie: Devenir subtil, sagace et astucieux. Puis le sens actuel a été ajouté au sens linguistique, à savoir que cette personne est éduquée, consciente et qu’elle a un esprit critique et un bon goût, ce qui la rend immunisée contre toute idée erronée de la part de gens qui prétendent posséder la vérité absolue. Le véritable intellectuel cultivé pense de manière scientifique, or la science tend vers la relativité, le doute, l’interrogation et le renouvellement, autant de valeurs qui ne sont pas appréciées par les extrémistes et les tenants des idées radicales.

La culture populaire (folklore) avec sa profondeur artistique, sa poésie, sa prose et sa musique, représente un obstacle face à l’extrémisme, et c’est pour cela que les extrémistes la pourfendent et la dénoncent comme une «Nouvelle Ignorance» (Jahiliya), à éradiquer. 

Dans la même mesure, les extrémistes rejettent la littérature et les arts produits par l’élite culturelle, à moins qu’ils ne soient conformes à leur perception. Ils récusent également le cinéma, le théâtre, la poésie, le roman, la musique et la chanson affirmant que ce sont des productions imprégnées de mensonges et conçues pour distraire de Dieu, ou tout simplement pour propager la débauche et la dépravation. Les groupes extrémistes ont essayé de faire leur propre art, qui s’est avéré fade, sans goût, superficiel sans aucun sens de créativité, et dénué de toute esthétique artistique.

En plus du sens de la critique et de la responsabilisation, la vraie culture entretient (le pluralisme), et tend vers tout ce qui est avantageux. Elle ne puise pas sa force d’une seule source, mais s’abreuve de toutes les connaissances humaines. Or, ce pluralisme est incompatible avec les tenants du discours monolithique qui se considère comme la vérité absolue, et tout le reste n’est qu’abomination, ignominie et honte. 

Le troisième élément qui caractérise la culture est le mouvement perpétuel et le renouveau, chose honnie par les extrémistes qui aiment stagner et raffolent des idées closes et inertes peu propices à l’examen et la vérification, de crainte que le modèle immuable ne soit ébranlé, et que l’édifice jonché sur l’obéissance aveugle aux dirigeants inspirés et infaillibles ne s’effondre.

Invulnérabilité culturelle
Les groupes extrémistes et terroristes détestent les nouvelles idées alternatives et croient ferme au principe «d’organisation et non de théorisation», d’où leur refus des penseurs considérés comme de personnes non grata dans leurs rangs. Tous ceux qui penchent tant soit peu vers la littérature ou l’art sont mal vus. On ne leur connait donc aucun écrivain de renommée, ni aucun artiste doué. De même si ces groupes cherchaient à avoir une production littéraire et artistique, la prêche et la subordination à la pensée extrémiste finissent par prévaloir sur les caractéristiques bien établies de l’art et de la littérature dont en premier lieu la liberté.

D’autre part, l’hostilité des extrémistes à la culture est ostentatoire que ce soit au niveau de leurs discours oratoires ou dans leurs brochures de propagande. Pire, lorsque certains de leurs partisans ont réussi à siéger dans les parlements arabes, la plupart de leurs requêtes dénonçaient la littérature, les arts et les idées en général.

Ces attitudes à l’égard de la culture traduisent le danger que représente la culture avec ses trois caractéristiques susmentionnées pour le projet extrémiste. D’où leur tentative de présenter un contre-projet baptisé «culture», ou «alternative culturelle islamique», qui, bien que correct du point de vue formel, son contenu est incompatible avec les conditions générales de la culture.

Sur la base de ce qui précède, il devient impérieux de se poser la question suivante: Comment peut-on activer la culture dans nos sociétés pour en faire un rempart face à l’extrémisme, ou un dissolvant permettant de le dissoudre, ou du moins affaiblir sa teneur? 

Pour être solidement établies et admises par les gens, les idées ont besoin d’institutions qui les adoptent  et les transforment en mesures applicables à la réalité vivante. Sinon, elles vont continuer de planer dans le néant et être incapables de toucher les gens et les influencer. Aussi, suggère-t-on ce qui suit:

1. Édifier de petits complexes de culture, ou valoriser l’activité des institutions similaires déjà existantes. Ces complexes devront être placés au centre de lieux résidentiels pour que les jeunes puissent les atteindre et les fréquenter, et à condition que les écoles et les universités attirent l’attention des élèves et des étudiants à ces établissements et instituent des programmes de coopération avec eux.
2. Ce projet nécessite que la lecture soit une partie essentielle du programme scolaire, à partir de la première année du primaire et jusqu’à la fin du secondaire, et à condition que les enseignants soient formés à effectuer cette tâche et que les écoles disposent de bibliothèques riches de sources littéraires et artistiques soigne​usement sélectionnées.
3. L’expérience du «Théâtre Al-Jarn», appliquée en Egypte, et à laquelle j’ai participé, peut être adoptée dans ce contexte pour confronter la pensée extrémiste. Ce projet visait à revitaliser les arts, la littérature et le folklore patrimonial dans les écoles primaires et secondaires, en coopération entre les ministères de la culture et de l’éducation. Le projet a été mis en œuvre dans les écoles de villages connues par la présence de groupes islamiques radicaux, et a connu un succès retentissant, malgré la réticence au départ des élèves, sous prétexte les arts sont interdits. Mais au fil du temps, ces jeunes ont commencé à dessiner, jouer de la musique, écrire de la poésie, des histoires et des articles, jouer des pièces de théâtre et créer de l’art populaire issu de leur environnement, avec enthousiasme et ardeur.
4. Il faut prêter attention aux penchants culturels des enfants. Certains membres de groupes extrémistes se sont appuyés sur cette méthode pour attirer les enfants vers eux, les préparer à entrer dans leurs groupes, les familiariser avec leurs idées, sachant qu’ils dirigeaient des maisons d’édition bien connues qui les aidaient à mener à bien cette tâche. Il faudrait également encourager les écrivains et les maisons d’édition pour enfants.
5. Les producteurs d’arts et de littérature dans la société doivent être encouragés et honorés comme des personnes dignes d’être célébrées, et que ce qu’ils écrivent est un pilier essentiel face à l’extrémisme et à l’outrance religieux et fait partie du (Soft Power) de l’État en général, ce qui leur vaut l’adoption de budgets suffisants pour les aider à produire une véritable culture.
6. Il est nécessaire d’organiser des concours et des compétitions d’écriture créative des élèves et des jeunes, sur des questions spécifiques qui promeuvent «l’illumination» et encouragent la modération religieuse.

En tout état de cause, la culture ne doit pas être traitée comme une parure et une ornementation, mais plutôt comme un moyen pour édifier l’être humain, bâtir ses connaissances, ses valeurs et ses orientations, et assurer la renaissance de la société dans son ensemble. L’extrémisme et le terrorisme ne doivent pas être traités comme une question purement sécuritaire. Ils sont, au contraire, basés sur des valeurs et des idées erronées et incompatibles avec les principes de la majorité sociale, et doivent être combattus intellectuellement à court et à long terme, et ne recourir aux moyens sécuritaires et militaires que s’ils se transforment, de simples idées noires, en mesures et actions violentes à imposer aux gens.