Depuis la fin de la transition politique (2014-2015) consécutive à la chute de Blaise Compaoré, le Burkina Faso est sorti d’une relative stabilité pour se plonger dans la plus grave crise sécuritaire de son histoire postcoloniale. Le pays est ainsi éprouvé par les attaques à répétition des groupes armés venus du Mali et qui ont trouvé dans la région du Sahel burkinabè, un terreau propice pour se développer. Le concept d’Extrémisme Violent (EV) est utilisé pour caractériser la violence perpétrée par ces groupes armés. Il peut se concevoir comme le fait de plaider en faveur, s’impliquer, préparer ou soutenir de toute autre manière la violence motivée ou justifiée par des motifs idéologiques dans le but d’obtenir des avancées au plan social, économique ou politique.

L’extrémisme violent au cœur de la crise sécuritaire au Burkina Faso 
Les groupes terroristes ont réussi à faire basculer une bonne partie du Burkina Faso dans une violence généralisée. Si la région du Sahel est considérée comme le sanctuaire pour ces groupes armés, ils étendent leurs attaques sur d’autres régions. Depuis 2017, ils opèrent dans les régions du Nord et de la Boucle du Mouhoun et jusqu’à la région de l’Est depuis 2018. Depuis 2019, les régions qui concentrent le plus d’attaques sont celles du Centre-Nord et du Sahel et de l’Est. Ces zones sont ainsi le théâtre d’attaques contre les Forces de Sécurité, mais également les représentants civils de l’État, et de plus en plus les communautés. 

Malgré la complexité de la situation sécuritaire, deux grands groupes peuvent être identifiés. Il s’agit du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) et l’État Islamique au Grand Sahara (EIGS). Autour de ces groupes, gravitent des petits groupes de trafiquants et délinquants qui contrôlaient certaines zones avant l’arrivée des groupes terroristes. Parmi eux, il y a le groupe Ansarul Islam du défunt prédicateur Malam Ibrahim Dicko. 

Le mode opératoire de ces groupes repose essentiellement sur les enlèvements, les attaques contre les symboles de l’État et la pose d’engins explosifs improvisés. Ces attaques ont fait, de 2015 à 2019, plus de 1800 victimes et environ (800.000) personnes ont fui leur localité d’origine, dont plus de la moitié est sans abri.

Même si les groupes armés utilisent toujours le Mali comme base arrière, ils s’appuient en grande partie sur les citoyens locaux. Il y a donc une dynamique d’endogénéisation qui explique qu’à travers un processus de radicalisation, des citoyens burkinabè grossissent de jour en jour les rangs des groupes terroristes. Les analyses ont permis de catégoriser les facteurs qui déterminent l’engagement des citoyens aux côtés des groupes terroristes. Ainsi, des «facteurs de répulsion», c’est-à-dire les conditions structurelles ou caractéristiques de l’environnement sociétal supposées entraîner les personnes vulnérables sur le chemin de la violence s’accompagnent de «facteurs d’attraction», c’est-à-dire les motivations individuelles et les dynamiques au niveau des petits groupes. Au Burkina Faso, la logique de ces groupes est claire: S’appuyer sur les conditions structurelles faites de mal gouvernance notamment, pour alimenter les motivations individuelles. Ainsi, la révolte face à des comportements des autorités perçus comme injustes ou abusifs est la cause la plus fréquemment citée pour justifier leur ralliement aux groupes extrémistes violents africains. 

L’absence de l’État dans les zones rurales est ainsi exploitée par ces groupes. De plus, les groupes terroristes ont su exploiter les désordres locaux et alimentent les tensions sociales en attisant les conflits ethniques communautaires. On peut citer les drames ethniques de Yirgou et d’Arbinda dont on accuse les groupes terroristes d’être les instigateurs. Dans ces genres de drames, les communautés peules ont été victimes de représailles parce que soupçonnées de faire équipe avec sinon d’être des groupes terroristes.  

Riposte contre l’extrémisme violent 
Pour contrer ce phénomène, les gouvernants en collaboration souvent avec d’autres entités, mettent en place une série «potentiellement illimitée» de mesures, même si, jusque-là, l’outil militaire semble être privilégié. L’état d’urgence décrété dans (6) des (13) régions que compte le territoire s’inscrit dans cette logique. Jusqu’à présent, la conception étroite de la sécurité, reposant pour l’essentiel sur l’outil militaire semble dicter la réponse des autorités. Les autorités ont lancé deux opérations d’envergure dans la région de l’Est (Opération Otapuanu) et celle du Sahel (Opération Ndofu) qui ont donné lieu à des exactions contre les communautés, dénoncées par des organisations de défense des Droits humains. 

Depuis 2019, les opérations militaires se sont multipliées dans les zones occupées par les groupes armés. La conduite de ces opérations illustre la difficulté des forces de sécurité à conjuguer l’action sécuritaire avec les exigences de respect des droits humains; cela occasionne de nombreuses exécutions extrajudiciaires dénoncées par les organisations de défense des droits humains, telles que Human Right Watch et le Mouvement Burkinabè des Droits de l’Homme et des Peuples. Ces exécutions s’avèrent doublement contre-productives. Elles privent les militaires de renseignement et accélèrent le processus de radicalisation des proches des victimes. 

À côté de cette approche militaire, il se développe d’autres approches qui s’inscrivent dans le cadre du processus de Réforme du Secteur de la Sécurité en cours. Les autorités tentent d’apporter des solutions aux problèmes structurels favorisant l’essor de l’extrémisme violent. Par exemple, depuis 2017, le Programme d’Urgence pour le Sahel (PUS) au Burkina Faso est mis en œuvre en vue de réduire la vulnérabilité des communautés, pour un développement durable dans la région du Sahel et une partie de la région du Nord. Depuis juin 2019, ce programme a été étendu aux autres régions vulnérables, notamment la Boucle du Mouhoun, l’Est, le Centre-Nord. Ce programme est ainsi censé contrer les conditions structurelles favorables à l’essor de l’extrémisme violent à travers la réalisation d’infrastructures socioéconomiques et l’amélioration de la gouvernance locale et administrative. 

De plus en plus, l’accent est aussi mis sur la sensibilisation des communautés à travers la diffusion de messages (discours et programmes télévisés) sur les chaines de télévision et de radios. Le Président du Burkina Faso se prête à cet exercice de sensibilisation en indexant la «stigmatisation et le repli identitaire» comme principaux maux qui menacent le «vivre ensemble». La société civile, à travers particulièrement un Collectif contre l’impunité et la Stigmatisation des Communautés créé en 2019, joue sa partition dans la sensibilisation et dans la dénonciation des représailles, commises contre les communautés peules.

Au niveau sous régional, des solutions censées contribuer à contrer l’action des groupes armés sont mis en place. Au niveau du G5 Sahel, l’opérationnalisation toujours en cours de la force conjointe, s’accompagne de mesures visant la lutte contre l’extrémisme violent. Au niveau de la CEDEAO, le cadre de politique pour reformer la gouvernance du secteur de la sécurité a été élaboré en vue d’insuffler aux États Membres, une approche qui va au-delà de l’outil militaire. Le Burkina s’est inscrit depuis 2017 dans un processus de réforme du secteur de la sécurité à travers une approche globale et holistique, ayant pour objectif d’intégrer les éléments de sécurité dans toutes les dimensions de la vie socioéconomique.

Conclusion
On peut retenir qu’en dépit de la panoplie de réponses implémentées en vue de juguler les actions des groupes armées, le Burkina Faso peine à retrouver sa relative quiétude. Comme cela a été dit, certaines réponses comme la répression massive peuvent s’avérer contreproductives. De façon plus générale, il s’avère nécessaire que les autorités se détachent de l’opérationnel pour une analyse plus globale de l’efficacité et de la cohérence de cette série de mesures, mises en œuvre.