Les événements terroristes commis par certains faibles d’esprit montrent que la tendance à l’extrémisme religieux entache les diverses cultures humaines, faisant des religions et des dogmes un horizon pour la mort et non pour la vie. Ce phénomène est étroitement lié à de fausses interprétations sur le conflit de volontés, ayant pour résultat d’alimenter des guerres destructrices et d’asseoir la négation totale de toute possibilité d’entente et de coexistence. Car, il apparaît que le dialogue et la tolérance régressent dans ce monde, à chaque fois que les gens attisent en eux le feu de la colère.

En fait, la problématique n’est point l’apanage des temps présents. Elle est plutôt aussi archaïque que le conflit religieux lui-même, comme en témoignent les guerres du Moyen Âge (Croisades en Orient et guerres de récupération en Andalousie), prototypes de la tendance d’anathémisation de l’autre, religieusement et culturellement différent. Et partant des préjugés qui circulent sur l’Islam, en particulier sur sa "prétendue", relation avec la violence et le terrorisme, nous pouvons soumettre cette question au débat, à travers les questions suivantes: La foi religieuse encourage-t-elle la violence et intimide-t-elle les gens? Ou cela dépend-il des mauvaises interprétations de la foi religieuse? Si tel est le cas, quels sont les signes que l’on peut tirer de l’exploitation de la religion, à travers de mauvaises interprétations, pour pratiquer la violence en son nom? Les fausses et mauvaises interprétations de la foi religieuse pourraient-elles expliquer le phénomène contemporain du terrorisme?

Si la violence dans sa dimension naturelle n’est qu’un instinct agressif enraciné dans l’être humain, cela signifie que l’agression contre l’autre ne doit pas dépasser la sphère des instincts innés: Rivalité, peur et orgueil, comme l’a dit Thomas Hobbs[1]. Grâce à cet instinct inhérent à la nature humaine, les êtres humains jouissent de s’agresser les uns les autres comme s’il s’agissait d’une force compensatrice de leur faiblesse patente. Cependant, lorsque la violence se transforme d’une simple impulsion naturelle en un devoir cultuel sacré, alors seulement elle se mue en un dangereux phénomène culturel, avec des dimensions interprétatives symboliques profondes aux conséquences imprévisibles. Or cela s’applique-t-il au phénomène du terrorisme?

La violence a donc diverses sources autres que l’instinct: Culture, croyances religieuses, idéologies, conflits politiques, …etc. Ces contextes peuvent être des éléments efficaces qui justifient la violence; aussi, la composante culturelle symbolique devient-elle l’une des principales raisons du phénomène généralisé de la violence. Par conséquent, si nous mettons en veilleuse la dimension instinctive de la violence, nous constatons que le facteur symbolique et culturel est le plus prépondérant dans l’émergence de la violence.

Si nous essayons de mieux comprendre comment la composante culturelle attise la violence, nous constaterons que les aspects symboliques sacrés sont les facteurs les plus marquants dans le degré de gravité du phénomène, compte tenu de sa spécificité inconsciente et de son caractère sacré, qui prédomine sur les interprétations de la vie culturelle et sociale des gens. Le facteur culturel-symbolique est un élément important pour comprendre la violence de certains groupes fondamentalistes religieux, en particulier, concernant la légitimité religieuse de recourir à la violence et d’en user. Compte tenu de l’élan spirituel que cette légitimité symbolique confère à la violence pratiquée contre les autres (culturellement et religieusement différents), certaines personnes produisent des interprétations fondamentalistes strictes qui légalisent la licéité de verser le sang et d’entacher l’honneur de ceux qui sont religieusement différents, au nom d’un symbolisme exégétique spécifique aisément promu parmi les simples d’esprit.

En ce qui concerne le terrorisme religieux contemporain, son danger réside dans le fait qu’il se nourrit d’une tendance excommunicatoire fondée sur des justifications dogmatiques et symboliques fallacieuses indument interprétées pour donner une légitimité théologique à une tendance destructrice irrationnelle. Le danger du terrorisme religieux dans les sociétés réside dans sa tendance à partager les gens en groupes de bons et méchants, méritant le salut ou non, …etc. Il s’agit d’une tendance à diaboliser l’autre culturellement différent et à l’exclure complètement de l’existence. Selon l’interprétation erronée des croyances religieuses, un torchon crasseux devient plus noble qu’un être humain religieusement différent, uniquement parce que, dans la croyance de ceux qui adoptent des interprétations extrémistes, ce chiffon serait un symbole sacré pour leur groupe et une sainte effigie religieuse[2].

Sous cette interprétation erronée de la foi religieuse, la violence se transforme en terrorisme pour les gens paisibles, la fatwa excommuniant l’autre et confisquant son droit à la vie, devient chose courante chez les adeptes des interprétations étriquées des textes religieux[3].

L’enthousiasme religieux apporte une charge puissante à l’imagination et à la conscience, de sorte que les émotions religieuses intenses introduisent l’adepte de la violence et du terrorisme de la réalité sociale et politique à une sorte d’héroïsme sacré fantasmatique contre le mal présumé, car la mentalité du terroriste ne peut pas penser en dehors de la dualité entre le bien et le mal, l’incrédulité et la foi, …etc. À ce stade, toutes les restrictions et les interdictions s’estompent, et le meurtre se transforme en un acte sacré qui rapproche de Dieu (le cas du terroriste qui a attaqué des fidèles dans la mosquée). Ainsi, le conflit passe d’un simple conflit d’intérêts à une sainte lutte entre le bien et le mal, décrétant la légitimité d’exterminer les autres de la manière la plus horrible, jusqu’à ce que la violence au nom de la foi religieuse fasse de l’effusion de sang sans bornes une dévotion pour purifier le monde des hérésies. Les guerres sectaires incarnent on ne peut plus le terrorisme des adeptes des interprétations religieuses insidieuses. Et c’est pour cette raison, que les pseudo-partisans des religions immortalisent leur histoire avec les grandes batailles sacrées qui se transforment dans leur esprit en un modèle de lutte éternelle entre la vérité et le mensonge.

Les terroristes justifient leur violence féroce en se référant aux symboles sacrés qu’ils interprètent selon leurs caprices et leur bon vouloir. Ils métamorphosent leurs interprétations erronées des croyances religieuses en doctrines politico-idéologiques immuables qui justifient de commettre des crimes odieux sous la bannière de leurs interprétations idéologiques illusoires. Et vu la réponse favorable et rapide de la part de certains individus à cette tendance sanguinaire, certains chefs de guerre sectaires ne lésinent pas d’utiliser toutes sortes de justifications religieuses pour déclencher des conflits et inciter la populace à s’y engager avec enthousiasme.

Dans cette perspective, l’herméneutique terroriste fait de la religion un combustible pour attiser les conflits et la violence et pousser les gens dans les gouffres de l’extrémisme et du fanatisme religieux, et ce en induisant la foi des croyants dans des conflits sectaires qui se déclenchent par ici et par là. Partant de cet usage, aberrant de la foi religieuse pour justifier la violence, il ressort, du point de vue de l’esprit critique, la nécessité de libérer les cultures religieuses de ces exégèses falsificateurs et bornés, en vue de couper court aux terroristes qui placent la foi véridique à l’horizon de la mort et non de la vie. Sans ce recours critique, la foi est acculée à la dégradation et sa théorie prônant la droiture de l’être humain risque de sombrer dans le néant. Par conséquent, ce dont nous avons besoin de nos jours, ce n'est pas de condamner les terroristes et de diaboliser leurs mythes héroïques suicidaires, mais plutôt de dénoncer cette idéologie malveillante.

La leçon tirée des violences à caractère sectaire est que, quelles que soient les causes du conflit, la composante religieuse doit toujours éviter de s’y immiscer, en particulier dans le cas islamique souffrant de malentendus inexorables. Quels que soient les antagonismes, les différends politiques et les conflits d’intérêt, il faudrait à tout prix s’interdire d'y impliquer l’élément religieux-sectaire / confessionnel, car il s’agit d’une forme de falsification de la foi religieuse, qui, par essence, est miséricorde pour tous.

Le maître-mot dans cette affaire est que le recours à la violence, au nom de la foi religieuse, est un vice moral qui éveille les formes de violence les plus pernicieuses, tel le terrorisme, qui glorifie le meurtre au nom du sacré religieux; ce qui constitue un danger mortel pour les sociétés contemporaines se caractérisant par la diversité et le pluralisme. Le terrorisme religieux menace également les piliers des sociétés humaines, ce qui pourrait causer leur désintégration en sectes et en identités closes, en contradiction flagrante avec ce qui constitue l’essence même de la foi religieuse elle-même, à savoir la tolérance et la liberté.

Sur la base de ce qui précède, nous pouvons considérer que toute pratique religieuse de la violence est une sorte de religiosité culturelle médiocre et dégradée dénuée de toute authenticité morale. La transformation que connaît actuellement le fondamentalisme islamique radical confirme la fameuse parole de Walter Benjamin qui dit: "Toute montée du fascisme est l’expression d’une révolution ratée". La montée du fascisme en Europe est une séquelle de l’échec de la gauche, et traduisait en même temps l’existence d’un potentiel révolutionnaire latent et d’une colère sous-jacente, que la gauche n’a pas pu développer. Cela ne s’applique-t-il pas à ce que l’on pourrait appeler les "mouvements religieux extrémistes"? Ou en d’autres termes, la montée de l’islam radical n’est-elle pas en étroite relation avec la disparition de la gauche laïque de nos sociétés islamiques?

[1]- Thomas Hobbs: Léviathan, traduit par Diana Harb et Boshra Saab. Première Édition, Abu Dhabi Autorité de la Culture et du Patrimoine, 2011.

[2] - Parmi les théories sociologiques et culturelles les plus importantes liant la violence à la foi religieuse, celle de René Girard qu’il a exposée dans son livre "La Violence et le Sacré", où il simplifie la façon dont les œuvres sacrées fusionnent les contradictions de l’existence humaine, ajoutant une sorte de légitimité spirituelle et symbolique à la violence, en faisant un outil pour restaurer la paix et sauver les humains, et parfois pour la destruction absolue de tout ce qui a été construit. La violence de cette manière est inhérente à ce désir naturel de détruire qui pénètre la vie humaine, et la religion ne fait que couvrir ce désir de masques symboliques pour le reconnaître et le justifier d’une justification symboliquement inconsciente. L’homme est innocent dans sa nature humaine face au phénomène de la violence, c’est la conclusion que ce livre veut confirmer. Voir la traduction arabe du livre, publiée par l’Organisation Arabe pour la Traduction, traduction de Samira Rasha, du Centre d’Études sur l’Unité Arabe. Première Édition, Beyrouth, 2009. pp. 416 - 417.

[3]- Voir, à cet égard, Abdel Razek Eid: The Prohibition Mindset or the Culture of Discord. Première Édition, Vision Bulletin, 2009, p. 260.