Le terrorisme est quelque chose qui arrive aux autres”, un dicton répété par les Mauritaniens au début des années 90, lorsque le fléau du terrorisme a commencé à propager le chaos et la peur partout, menaçant l’intégrité des États et la sécurité des peuples, et altérant leur stabilité. L’argument était fondé sur deux justifications, l’une géographique et l’autre culturelle et historique.

Quant à la justification géographique, elle reposait sur le fait que la Mauritanie se situe loin des zones des conflits attisés par le terrorisme au Moyen-Orient, en Afghanistan et dans le sous-continent indien, surtout que peu de Mauritaniens fréquentaient ces zones. Quant à la justification culturelle et historique, elle se fondait sur l’unité religieuse et doctrinale du peuple Mauritanien, uni sur les plans de la religion, de la doctrine et des dogmes, et qui n’a jamais connu, tout au long de son histoire, les «identités mortelles», qui se sont propagées dans plusieurs pays, et ont contribué en plus d’autres facteurs, à l’émergence de l’extrémisme violent. De même, dans leurs fatwas, les érudits (Oulémas) Mauritaniens étaient plus enclins aux positions réformistes qu’aux positions révolutionnaires, et ils s’abstenaient de toute déclaration ou action qui pourrait mener à l’effusion de sang, même dans leur confrontation avec le colonialisme français, au début du XXe siècle. Ils prônaient le jihad avec le bon exemple, la bonne parole et la sagesse, estimant que c’était plus efficace et plus utile que le recours aux armes.

 Retournement de la situation

Ce dicton est resté une devise communément admise et adoptée par la plupart des élites du pays, même sur fond des incendies déclenchés par le terrorisme dans des villes en Algérie, les attentats à la bombe dans les hôtels de Casablanca et de Marrakech et la fumée suffocante qui montait du Centre Mondial du Commerce, et ce jusqu’à ce qu’eut lieu l’attentat de «Megaiti», qui bouleversa la donne.

Au début du mois de juin 2005, la Mauritanie connaissait une situation politique instable, attisée par le leader Libyen défunt Mouammar Kadhafi, qui a financé des mouvements politiques accusés d’avoir tenté de renverser le régime.

Alors que la sécurité Mauritanienne avait l’œil sur le danger intérieur, une unité de l’armée de quelques dizaines de soldats stationnait au fond du désert, à quelques kilomètres de la frontière avec l’Algérie, dans une forteresse coloniale délabrée pour contrôler la frontière.

Un soir d’automne, l’unité de l’armée, coupée du monde, a accueilli des Mauritaniens qui ont dit être des bergers, dont le véhicule était en panne et qui avaient besoin d’eau, de carburant et de nourriture. Le groupe n’était rien d’autre que des éléments de reconnaissance du «Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat», actif en Algérie depuis les années 90, et impliqué dans des attaques terroristes qui ont fait des dizaines de milliers de morts. Le groupe devait prêter allégeance à Al-Qaïda et porter plus tard le nom «Al-Qaïda au Maghreb Islamique». Le bataillon de reconnaissance nourri et ravitaillé a pu inspecter les forces et les faiblesses de l’unité militaire.

Le 4 juin 2005, le détachement est revenu avec des dizaines de combattants qui se cachaient derrière les dunes, et a lancé une attaque violente contre l’unité militaire composée de 17 soldats Mauritaniens qui a été entièrement décimée. 

L’attaque de Megaiti a provoqué un grand choc pour les Mauritaniens, sonnant le glas du postulat disant que «le terrorisme est quelque chose qui arrive aux autres». L’attaque terroriste a eu de graves répercussions politiques et sécuritaires, qui ont abouti à la chute du régime du Président Muawiya Weld al-Taya, deux mois plus tard. 

 Confrontation inévitable

La prise de conscience, du gouvernement et de l’armée Mauritaniens, de l’ampleur des dangers le long des frontières avec le Mali et l’Algérie était très tardive. Al-Qaïda contractait des alliances avec une partie de la population locale du nord du Mali, tandis que ses cellules dormantes rampaient silencieusement à l’intérieur de la Mauritanie, pour recruter des combattants parmi les jeunes Mauritaniens bernés par les slogans du «djihad» et du «soutien à l’Islam», et jeter les bases d’un «État voyou», dans un désert qui s’étendait sur des milliers de kilomètres.

Après la chute du régime d’Ould Taya, la nouvelle situation a fait apparaître des officiers qui ont rapidement pris le contrôle des choses en mains et sont entrés en confrontation avec Al-Qaïda, avec à leur tête l’actuel Président Mohammed Ould Cheikh El-Ghazwani. Les opérations terroristes en Mauritanie se sont toutefois intensifiées, visant l’armée sur les frontières à «Turin» et «Ghalawia». Un attentat-suicide a visé l’ambassade de France à Nouakchott, des touristes français ont été tués au milieu du pays et des affrontements ont eu lieu au cœur de Nouakchott, quoique la force de sécurité Mauritanienne a réussi à déjouer de nombreuses attaques terroristes.

Après 2008, les autorités ont commencé à jeter les bases d’une stratégie nationale de lutte contre le terrorisme, à l’élaboration de laquelle ont participé les dirigeants politiques, sécuritaires et juridiques, les militants sociaux, les intellectuels et les érudits religieux. La Mauritanie est passée de la phase de «réaction» à la «phase d’initiative» contre Al-Qaïda.

 Stratégie globale

La stratégie Mauritanienne a débuté par examiner le phénomène du terrorisme sous ses différents aspects, selon une vision complexe et multidimensionnelle, en jumelant les dimensions de la sécurité et du développement, en activant la diplomatie et en renforçant l’armée et les renseignements.

Cette stratégie se composait de quatre axes principaux: Juridique; sécuritaire et militaire; politique et diplomatique; culturel et religieux.

A- Axe juridique:

Cet axe vise à développer un nouveau dispositif juridique (arsenal), capable de faire face au terrorisme et d’éliminer ses sources de financement, de sorte qu’il soit compatible avec le droit pénal Mauritanien, et puisse suivre l’évolution du droit international dans ce domaine. La Mauritanie a révisé de nombreuses lois pour les mettre au diapason avec la loi antiterroriste Mauritanienne, publiée en 2010 et a promulgué de nouvelles lois pour combler les lacunes juridiques.

Pour assécher les sources de financement du terrorisme, les mesures ont resserré l’étau au blanchiment d’argent servant le terrorisme, qui bénéficiait des dizaines de millions de dollars provenant du commerce d’otages, et a mis en place des organes de surveillance financière spécialisés dans le suivi, le contrôle et la traduction en justice des pourvoyeurs de fonds destinés aux terroristes.

La Mauritanie a promu de même la coordination avec les organismes régionaux et internationaux, tels que: La Ligue des États Arabes, les Nations Unies, l’Union Africaine et l’Union Européenne, ainsi qu’avec les pays, avec lesquels elle entretient des relations bilatérales.

B- Axe Sécuritaire et Militaire:

La sécurité et l’action militaire constituent l’épine dorsale de toute stratégie nationale, régionale ou internationale de lutte contre le terrorisme, qu’elle soit proactive (action de renseignement) ou postactive (dissuasion et attaque). La stratégie Mauritanienne a donné la priorité au travail de renseignement, car il s’agit d’une action préventive qui empêche les attaques terroristes et la création de cellules dormantes dans le pays. La Mauritanie a mobilisé de nombreuses agences travaillant dans ce domaine telles que l’Administration Générale de la Sécurité Nationale (DGSN), le Département Général de la Sécurité Extérieure et de la Documentation (DGSED) et les bureaux des unités de renseignement de l’armée nationale, de la gendarmerie, de la garde et des douanes, en plus du Groupement Général de la Sécurité Routière (GGSR), créé, spécifiquement, pour lutter contre le terrorisme, grâce à un financement accordé par le Royaume d’Arabie Saoudite, dans le cadre d’une stratégie Mauritanienne pour moderniser les services de sécurité et leur fournir des équipements techniques modernes. Ces agences de renseignement coordonnent avec les agences des pays amis et alliés travaillant dans ce domaine pour échanger des informations et des expériences.

Les Mauritaniens ont basé leur guerre contre Al-Qaïda sur des «opérations préventives». L’armée Mauritanienne a investi les bastions d’Al-Qaïda dans le nord du Mali, lui infligeant de lourdes pertes, et la sécurité a réussi à gagner les faveurs la population locale à la frontière, ce qui a fait perdre à Al-Qaïda bon nombre de ses alliés sur le terrain.

C- Axe politique et diplomatique:

La guerre que la Mauritanie menait contre le terrorisme était objet de consensus politique sans précédent dans un pays qui a longtemps souffert de la division politique et de la fragmentation du front national interne, mais la stratégie adoptée par le pays dans cette guerre a réussi à unifier le front interne, de sorte que tous les partis et mouvements politiques ont convenu du danger du terrorisme.

La Mauritanie a engagé sa diplomatie dans sa guerre contre le terrorisme, et a été l’un des premiers pays à tirer la sonnette d’alarme contre le terrorisme dans les couloirs de l’Union Africaine. Nouakchott a accueilli en 2014, le Sommet de la Création du «Groupe de Cinq Pays du Sahel», regroupant la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad et Burkina Faso.

Au cours des dix dernières années, le niveau de coordination politique entre la Mauritanie, les États-Unis d’Amérique, la France et l’Union Européenne a évolué sans cesse, et Nouakchott est devenue la capitale de la guerre contre le terrorisme dans la région du Sahel africain.

D- Axe religieux et culturel:

L’axe religieux et culturel est le quatrième et dernier volet de la stratégie Mauritanienne de lutte contre le terrorisme. L’État a eu recours au «soft power» de la société  et a fait appel aux érudits, juristes, intellectuels et dignitaires sociaux pour face à l’extrémisme religieux parmi les jeunes.

Des scholastiques (Oulémas) Mauritaniens ont émis des fatwas mettant en garde contre l’outrance et les excès religieux contraires aux valeurs de la société. Les érudits et les (imams) ont rencontré des prisonniers radicaux et leur ont expliqué la modération de l’Islam, et les dangers de taxer les musulmans d’hérétiques et d’instituer la licéité de leur sang et de leur argent. Les divers organismes d’État tels que le Ministère des Affaires Islamiques, le Ministère de la Culture et le Ministère de l’Intérieur ont organisé des centaines de séminaires sur le phénomène du terrorisme auxquelles ont assisté des Oulémas musulmans de Mauritanie et de l’étranger. Ces séminaires ont été largement repris dans les différents médias. Cette action a entraîné le retour de nombreux combattants extrémistes au droit chemin, et l’État les a aidés à s’intégrer de nouveau dans la société et à reprendre leur train de vie normal, en finançant leurs projets générateurs de revenus. Certains d’entre eux ont commencé à lutter activement contre le radicalisme et l’extrémisme violent.

La stratégie Mauritanienne antiterrorisme agit à long terme et elle est consciente que la guerre contre le terrorisme durera longtemps. En dépit des progrès réalisés par la Mauritanie, le danger est toujours imminent, compte tenu de l’influence croissante d’Al-Qaïda dans la région du Sahel et de l’entrée de Daech sur la ligne dans la région.