Que cela soit la Cocaïne dans le Nord-Mali, le Tramadol dans le bassin du lac Tchad, les discours sur une implication importante des groupes terroristes dans le trafic de stupéfiants reviennent régulièrement dans le débat public. Si les liens entre terrorisme et criminalité ont été soulignés par le Conseil de Sécurité des Nations Unies dans sa Résolution (2482) de 2019, ainsi que dans plusieurs publications, son ampleur et ses modalités sont cependant complexes, comme en témoigne l’exemple du Sahel.

Crime et Financement du Terrorisme
Un premier niveau de lecture renvoie au financement du terrorisme par des activités criminelles. On observe en effet dans le Sahel un recours à de multiples pratiques criminelles par des groupes terroristes pour se financer: Enlèvements contre rançon de ressortissants locaux ou internationaux, vol et revente de bétail ou d’autres biens, petite criminalité, extorsion dans les zones contrôlées... finalement tout un ensemble d’actions relevant du «banditisme révolutionnaire».

Deux limites doivent toutefois être mentionnées dans le cadre de cette approche. La première est l’existence de dons motivés, qu’ils soient d’origine locale ou étrangère. Les groupes terroristes se financent également entre eux, notamment lors de la création d’une nouvelle cellule ou filiale. La deuxième concerne le trafic de drogue. À rebours des thèses sur le «narco-jihadisme», les acteurs du trafic de drogue ne sont pas les groupes terroristes, quand bien même ces derniers peuvent bénéficier indirectement de l’argent lié à cette activité.

Davantage qu’à travers la question du financement et de l’implication des groupes armés terroristes dans le trafic de drogue, interroger les liens entre criminalité et terrorisme renvoie à deux autres dimensions centrales: Celle des relations entre criminels et terroristes et celle de la façon dont la criminalité a favorisé le développement et l’expansion du terrorisme.

Criminels et Terroristes 
Pour rendre compte de l’interaction entre acteurs criminels et terroristes, on distingue quatre types de relations. 

1. La Coexistence 
Les criminels et les groupes terroristes occupent un même espace. Ils y opèrent avec une finalité différente (recherche de gains matériels versus recherche d’un changement politique) et interagissent de façon limitée.
2. La Coopération 
Les acteurs terroristes et criminels ne se contentent pas de cohabiter, ils collaborent de façon plus ou moins ponctuelle (par exemple; appui de trafiquants à un attentat terroriste et inversement pour la protection d’un convoi). 
3. La Convergence 
C’est-à-dire qu’il y a un phénomène d’acculturation, avec l’intégration de pratiques et de savoirs criminels au sein d’un groupe terroriste. À l’inverse, il peut s’agir de l’intégration de modes d’action terroristes par des acteurs criminels, que cela soit contre des rivaux ou des États. 
4. La Transformation
Dans ce cas de figure, le groupe terroriste abandonne son combat politique pour des pratiques motivées par le seul appât du gain, ou le groupe criminel se tourne vers un combat politique.

Ceci posé, les relations entre terroristes et criminels au Sahel sont marquées par:
a- Le pragmatisme réciproque. Aucun de ces acteurs n’a réellement intérêt à déclencher un conflit avec l’autre.
b- La dépendance aux dynamiques de l’environnement, et ce en tenant compte de la nature de cet environnement du Sahel.
c- Les divergences entre les groupes, concernant les objectifs et les moyens. 

En 2012 par exemple, plusieurs analystes ont souligné les liens entre le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et de grands trafiquants de drogue maliens. Cependant, ce rapprochement ne va pas de soi et des débats ont lieu en interne, notamment du fait du caractère haram des stupéfiants. De même, dans les régions de Kidal et semble-t-il aussi de Tombouctou, on observe un mélange d’accommodement, de désapprobation voire d’hostilité à l’égard des trafiquants.

Ces dernières années, du fait de la pression militaire internationale, les groupes terroristes semblent plus tolérants à l’égard des trafiquants de drogue, leur priorité étant de survivre, de poursuivre et d’étendre leurs opérations. Le groupe d’experts des Nations Unies sur le Mali a d’ailleurs dénoncé la coopération de trafiquants avec des groupes terroristes. Celle-ci renvoie à deux logiques: 

- La première repose sur des intérêts réciproques. Les trafiquants offrent des facilités logistiques et opérationnelles aux terroristes, et réciproquement car une forme de protection existe. À l’inverse, les trafiquants ont tout intérêt à ne pas s’aliéner ces derniers, au risque de voir leurs activités interdites dans certaines zones. 
- La deuxième renvoie au fait que les personnes impliquées dans les trafics et les terroristes sont issus des mêmes ethnies, des mêmes tribus, voire des mêmes familles.

Outre cette coopération, on constate également un phénomène de convergence avec l’intégration de criminels au sein des groupes terroristes. D’anciens trafiquants ont rejoint les groupes terroristes, amenant leurs compétences et leurs savoirs, occupant pour certains des rôles importants. Cependant, ce mouvement semble s’être accéléré ces dernières années avec un phénomène de «jihadisation du banditisme». Dans les zones frontalières notamment, de petits criminels attirés par la propagande terroriste et les facilités qui leurs sont offertes pour leurs activités sont recrutés. Ils sont alors intégrés, parfois à temps partiel, et font disposer les groupes terroristes de leur connaissance du terrain et de leurs liens avec les communautés locales, avec pour conséquence l’expansion de leur zone d’action.

Criminalité Organisée: Terre fertile pour le terrorisme
Ce niveau de relations entre le terrorisme et la criminalité organisée renvoie à l’impact de cette dernière sur l’environnement dans lequel sont actifs les groupes terroristes.

La présence d’acteurs et de pratiques criminelles a en effet favorisé l’implantation de groupes terroristes. Elle a d’abord contribué à accroître les tensions sociales et ethniques, facilitant l’implantation des groupes terroristes en s’appuyant sur ces divisions. Ensuite, la proximité de trafiquants avec les appareils d’État a nourri une dé-légitimation des représentants étatiques, alimentant par extension les discours appelant à une remoralisation de l’espace public, à une révolution morale et politique sur laquelle ont capitalisé les groupes terroristes en stigmatisant, dans leur propagande, la corruption des élites et leur compromission aux côtés des arguments anticolonialistes.

Il ne s’agit pas de minorer le poids des tensions politiques et des dynamiques religieuses, qui ont contribué à fragiliser le tissu politique et social et à préparer le terrain pour des groupes politico-religieux appelant à prendre les armes et prônant une révolution au nom de la religion. De même, la violence a nourri des dynamiques de vengeance qui, en retour, ont alimenté les conflits et les dynamiques de recrutement par les terroristes. Cependant, le développement de la criminalité organisée a contribué à générer un terreau favorable à l’implantation de ces acteurs à travers son impact sur les sociétés, les États et leurs représentants.

En cela, la lutte contre la criminalité organisée et notamment les trafics les plus rémunérateurs et les plus corrupteurs est un corollaire central à la lutte contre le terrorisme et au renforcement des acteurs impliqués dans la lutte contre le terrorisme. Reste toutefois un défi important à garder à l’esprit: Articuler ces deux volets pour éviter de pousser les acteurs criminels dans les bras des groupes terroristes, cela suppose des approches adaptées et sensibles au conflit, notamment dans les zones frontalières. Des programmes destinés à favoriser une insertion professionnelle dans des activités légales et à renforcer le lien entre l’État et les communautés locales, et prendre en compte, également, la particularité de l’environnement en abordant les conditions qui poussent les éléments du crime organisé sur la voie du crime, et fournir des solutions qui tarissent les sources de criminalité, et limitent ainsi l’influence des membres des groupes criminels.