Il est important de gagner les batailles, mais le plus important est de gagner la guerre. Gagner une ou plusieurs batailles tout en perdant la guerre est une défaite, et perdre une ou plusieurs batailles en gagnant la guerre est une victoire. 

Au cours des dernières décennies, le monde a mené contre le terrorisme une guerre féroce, militaire, économique et intellectuelle, et lui a infligé de nombreuses défaites, mais sans pour autant l’éliminer. Les indicateurs quantitatifs révèlent une baisse des risques de terrorisme, mais les analyses qualitatives indiquent que sa fin ne sera pas proche, car il emploie deux éléments contradictoires pour pouvoir se rétablir après chaque défaite: Les conflits politiques et les problèmes économiques, qui touchent les zones faibles du monde, et donnent au terrorisme un environnement propice, secondé par des progrès techniques, ce qui lui permet de surmonter les frontières et les barrières.

Escalade Incessante

Depuis le début de la guerre contre le terrorisme après les événements du 11 Septembre 2001, la propagation du terrorisme s’est accrue et le nombre de groupes terroristes a plus que doublé. Une étude de l’Institut Américain pour la Paix a confirmé que l’intervention occidentale a conduit à l’augmentation du nombre de recrues rejoignant les groupes terroristes, en particulier dans les pays en conflit. Les interventions étrangères ont affaibli les institutions étatiques, les rendant plus vulnérables aux conflits et au terrorisme. Les groupes terroristes en ont profité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Et bien que Daech (EI) ait perdu son califat, il a toujours des structures affiliées dans plus d’une douzaine de provinces d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique Subsaharienne et d’Asie Centrale. La branche de l’organisation au Khurasan était même la quatrième organisation terroriste, la plus dévastatrice au monde en 2018.

Le changement climatique détruisant les moyens de subsistance de millions de personnes en Asie et en Afrique aide les groupes terroristes à recruter des adeptes car ces groupes utilisent la nourriture et l’eau comme outil de guerre. Ainsi, les extrémistes des tribus pastorales Peul ont tué 1158 personnes au Nigéria, en raison de leur conflit avec les agriculteurs vivant dans les zones de pâturage et de culture, en régression continue à cause du changement climatique, avec une augmentation de 308%, par rapport au nombre de leurs victimes en 2017. Ils ont dépassé Boko Haram qui a tué 589 personnes, avec une baisse de 42%, par rapport au nombre de ses victimes l’année précédente.

Les vagues de haine s’intensifient ces dernières années, dans diverses régions du monde, apportant de l’eau au moulin du terrorisme. Les groupes d’extrême droite ou les groupes suprémaistes blancs (White Supremacy Groups -WSG) ont commencé à se propager en Europe et en Amérique, et les attaques terroristes commises par ces groupes en Amérique ont prévalu au cours des dix dernières années. Ces formations tissent des réseaux mondiaux en Australie, Nouvelle-Zélande, Europe et Amérique, constituant ainsi un défi transnational, et leur croissance est susceptible de se poursuivre dans les années à venir, nourrie par les conflits en cours, la rhétorique raciste, l’islamophobie et l’intensification de l’immigration. En Ukraine, par exemple, les groupes d’extrême droite combattent les séparatistes armés dans l’est du pays, attirant davantage de combattants étrangers et formant des réseaux mondiaux.

Groupes Multiples et Terrorisme Unique!

Malgré leurs différences idéologiques, les groupes djihadistes et ceux d’extrême droite partagent de nombreuses caractéristiques. Ils estiment qu’ils sont au milieu d’une crise existentielle et qu’il n’y a aucun moyen de subsister si ce n’est par la violence, et tous deux nuisent intentionnellement à leurs sociétés et exacerbent leurs divisions. Des recherches ont montré que les attentats terroristes des deux côtés ont tendance à augmenter en même temps, comme s’ils participaient à une alliance implicite pour saper les sociétés contemporaines. Ils n’incarnent pas en fait une résurgence des cultures traditionnelles, mais contribuent plutôt à leur désintégration, car la principale composante des deux parties est la jeunesse qui lutte à la recherche d’une identité sociale susceptible de leur apporter la gloire et donner un sens à leur vie.

Le projet Enquête Mondiale sur les Valeurs a révélé que les valeurs religieuses préservent l’intégrité de l’individu autant que celle de la société au Moyen-Orient, et que la plupart des Européens ne considèrent pas la démocratie comme étant d’une importance absolue et ne sont pas prêts à sacrifier quoi que ce soit pour elle, ce qui confirme la nécessité de chercher à créer des alternatives, et ne pas laisser la tâche de défendre le patriotisme et les valeurs, dont les valeurs religieuses, aux groupes extrémistes. Il faut souligner que les extrémistes ne s’assignent pas de message social et se contentent de travailler dans l’espace de l’idéologie abstraite, ce qui montre que la capacité de comprendre et d’aborder la réalité des jeunes dans les différentes régions et contextes est cruciale pour faire face au fléau du terrorisme transfrontalier.

Technologie et Terrorisme

Les technologies modernes offrent de nouveaux moyens aux terroristes. Les drones aident ainsi à la reconnaissance et au transfert de petites munitions et d’engins explosifs, ou au déploiement d’armes chimiques et biologiques dans les lieux publics. En 2018, une tentative sérieuse d’attaque biologique à grande échelle utilisant de la ricine a été déjouée en Allemagne. Avec la poursuite de la relation entre la criminalité et le terrorisme, les terroristes effectuent des transactions secrètes et achètent des armes d’une manière qui ne peut être retracée. De nombreux groupes terroristes ont infiltré le cyberespace, et si jamais l’un de ces groupes aura des capacités de cyberattaque, les infrastructures, y compris les réseaux d’énergie, de télécommunication et d’eau, ainsi que les cibles militaires et commerciales risquent d’être détruites, et une catastrophe s’ensuivra.

Les commandants de l’IRA s’adressaient à leurs adversaires en disant: "Nous n’avons besoin d’être chanceux qu’une seule fois, et vous, vous devez être chanceux tout le temps". Ceci vaut pour les terroristes utilisant l’Internet, car la publication d’un clip vidéo ou d’une déclaration peut avoir des conséquences mondiales. Ainsi, le terroriste d’extrême droite qui a tué 51 fidèles musulmans dans une mosquée néo-zélandaise en Mars 2019, a diffusé son crime en direct sur Facebook, et sa publication a été vue un million et demi de fois.

Il y a plus de deux décennies, de nombreux chercheurs avaient prédit qu’Internet deviendrait un outil politique pour les terroristes, les criminels multinationaux et les organisations révolutionnaires, et qu’ils l’emploieraient à des fins organisationnelles, intellectuelles et sociales afin de renforcer leur pouvoir. Et c’est ce qui s’est réellement passé, car l’Internet a donné aux terroristes l’accès à des zones qui étaient le monopole des États, bien que les géants du réseau tels que Microsoft, Google, Facebook, Twitter et YouTube cherchent à supprimer le contenu terroriste et à investir dans des programmes basés sur l’intelligence artificielle pour lutter contre ce fléau. Toutefois, les terroristes adoptent d’autres alternatives pour diffuser leurs messages et utiliser le potentiel d’Internet pour servir leurs objectifs.

Hydre de la Terreur

L’hydre (animal ressemblant à un dragon) dans la mythologie grecque a dix têtes: Si l’une d’elles est coupée, une nouvelle tête pousse! Il semble que le terrorisme à notre époque est devenu comme l’hydre mythique, chaque fois qu’un groupe terroriste est éradiqué, un autre groupe ou même des groupes prennent sa place.

Au cours des deux dernières décennies, nous avons été témoins d’un schéma récurrent dans la lutte contre le terrorisme, qui s’apparente davantage à un cercle vicieux. Dès que la menace terroriste apparaît dans une région, le monde envoie - vite ou à pas comptés selon le lieu du drame - des forces pour l’affronter ou pour soutenir le pays qui y fait face. Si le danger diminue, les forces se retirent et l’aide cesse, alors le terrorisme réapparaît bientôt dans la même zone, ou dans une zone voisine, puis la chose répète, et ainsi de suite. Et à ce train, l’on s’attend à ce l’activité terroriste mondiale se développe de plus belle dans les années à venir.

Face à la brutalité des groupes terroristes, certains pays réagissent souvent par davantage d’harcèlement et de violence qui ne se limitent pas souvent aux terroristes, ce qui donne à ces groupes la possibilité de recruter davantage de partisans. Dans certains pays d’Afrique Subsaharienne, certains groupes terroristes bénéficient du soutien des secteurs tribaux et sociaux, profitant en cela des erreurs des gouvernements et des doléances de certains secteurs de la population, comme le montre l’étude du Chercheur Nathaniel Allen de l’Institut Américain de la Paix, intitulée: "Leçons Extraordinaires d’une Guerre Inhabituelle: Boko Haram et l’insurrection moderne". L’anthropologue franco-américain Dr. Scott Atran, Directeur de Recherche au Centre National de la Recherche Scientifique en France et Professeur aux universités d’Oxford et du Michigan, a également mis en garde dans ses recherches sur les zones de conflit, que "l’exploitation par les groupes terroristes des valeurs sacrées, qu’elles soient religieuses ou nationales, permet à certains d’entre eux de remporter des victoires sur des armées financièrement plus puissantes, en s’appuyant sur des incitations standard telles que: Salaires, promotion et châtiments". L’exemple le plus frappant à cet égard est l’expérience du contrôle de la province de Mossoul (un tiers de la superficie de l’Irak), par dix mille combattants de Daech. L’EI (Daech) en a expulsé l’Armée Irakienne en quelques jours, alors même que l’équipement de l’armée était le double de celui de Daech à l’époque. 

Obstacles et leçons

Les efforts de lutte contre le terrorisme sont entravés par divers obstacles, de la concurrence géostratégique à la politique de deux poids et deux mesures. Si nous regardons le grand écart dans les effets du terrorisme entre les pays industrialisés avancés et les pays en développement, nous constatons une grande contradiction. En Afrique, en Asie du Sud et au Moyen-Orient, le terrorisme déstabilise des régions et des pays entiers, alors qu’aucun dommage significatif n’est causé par le terrorisme en Europe, en Asie de l’Est et dans les Amériques. Au contraire, il se limite presque aux trois régions mentionnées: (Moyen-Orient, Asie du Sud et Afrique), qui ont subi 93% des dommages terroristes entre 2002 et 2018, selon l’Indice Mondial du Terrorisme (GTI) de 2019, et que près de 90% de toutes les activités terroristes ont eu lieu dans dix pays, dont aucun pays occidental n’en fait partie.

Entre 2000 et 2014, 4,4% des attentats terroristes ont eu lieu dans les pays occidentaux, occasionnant seulement 2,6% de décès. Quant au groupe des 36 pays de l’OCDE en Europe, Asie et Pacifique et Amériques, qui représente 80% du commerce et des investissements mondiaux, son taux mondial de mortalité par terrorisme en 2016 n’a pas dépassé 1% contre 0,1% en 2010!

Malgré ces faits évidents, toute attaque terroriste survenue à Londres, Bruxelles ou Paris occupe les médias internationaux, a une influence majeure sur la politique et la sécurité mondiales et dirige les politiques mondiales de lutte contre le terrorisme plus que des centaines d’attaques à Kaboul, Bagdad ou Lahore ou, Mogadiscio. Toutefois, nous pouvons tirer de cette contradiction, des leçons pour la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme.

Première leçon: L’activité terroriste mondiale intensive dans quelques régions seulement, menée par des groupes terroristes limités, signifie que toute augmentation majeure de la pression sécuritaire internationale sur un ou deux de ces groupes réduit beaucoup le terrorisme mondial. Ainsi, la pression internationale contre Daech a entraîné une baisse des taux de terrorisme dans le monde au cours des trois dernières années.

Deuxième leçon: Le terrorisme en Europe, aux États-Unis et dans le monde développé en général définit le plan mondial de lutte contre le terrorisme au niveau des Nations Unies et fixe ses priorités et ses préoccupations sur des questions qui peuvent ne pas être liées aux priorités de la lutte contre le terrorisme dans les pays et les sociétés du Moyen-Orient, d’Asie du Sud, d’Afrique Centrale et Orientale, qui souffrent d’un fardeau incomparablement lourd de pertes directes, résultant du terrorisme et qui n’ont pas les ressources nécessaires pour y faire face, ni même appliquer les mesures internationales contre le terrorisme qu’ils ont agréées. Il est urgent de combler ce fossé ou du moins le réduire.

Troisième leçon: L’activité terroriste se limite presque sur certains conflits armés régionaux et guerres civiles dans des États fragiles ou faibles, ce qui prouve la nécessité de la modernisation qualitative des efforts internationaux pour résoudre ces types de conflit, qui synthétisent l’essentiel du terrorisme mondial, et si cela se produit, ce sera l’une des mesures mondiales les plus efficaces et les plus durables de lutte contre le terrorisme.