​​En dépit du coût élevé de la guerre contre le terrorisme, pour laquelle les États-Unis d'Amérique ont dépensé à eux seuls environ six mille milliards de dollars, la chute des bastions de Daech en Syrie et en Irak en 2017 et l'assassinat de la plupart des dirigeants de première ligne, tout cela n'a pas encore mis fin à la guerre contre le terrorisme. Aussi, l'approche et les modalités de cette guerre ont-elles besoin aujourd'hui d'un changement qualitatif.

Approches globales

On sait que les groupes terroristes ne forment pas des structures militaires formelles comme les armées nationales qui peuvent être vaincues par la guerre conventionnelle. Ils sont plutôt décentralisés et tentaculaires, aux ressources humaines généralement constituées de jeunes frustrés et désespérés, convaincus que la violence est le seul moyen de faire entendre leur voix et d'apporter des changements. Cela explique la résurrection de l'organisation terroriste Al-Qaïda après l'invasion américaine de l'Irak, l'expansion de Daech sur les ruines du Printemps arabe et les groupes terroristes locaux issus des guerres civiles qui ont détruit le développement et constitué un obstacle au progrès et au développement.

Les victoires militaires contre les organisations terroristes sont certes de courte durée car ces groupes se présentent comme une force de changement pour une société idéale et déploient de grands efforts pour le recrutement et la préparation de suppléants aux dirigeants et éléments qu'ils perdent, ce qui leur permet de se régénérer et de survivre d'une manière ou d'une autre.

À la lumière de ces données, la guerre contre le terrorisme nécessite une approche globale capable de s'attaquer aux causes profondes de l'extrémisme. Cette approche inclut les dimensions militaires, sécuritaires, économiques, politiques, sociales et culturelles et permet aux jeunes désespérés et frustrés de participer politiquement et socialement de manière pacifique, leur offrant des opportunités d'éducation et de travail, améliorant leurs conditions économiques et sociales, protégeant les droits de l'homme, luttant contre la corruption, promouvant le dialogue, la justice, la démocratie et la bonne gouvernance, et renforçant les efforts internationaux pour résoudre les conflits.

Confrontation intellectuelle

La confrontation intellectuelle est l'un des moyens importants face aux stratégies des organisations extrémistes. Il s'agit de démonter la structure du discours extrémiste, comprendre le segment ciblé, puis formuler un contre-discours qui ait les mêmes composantes, cible le même segment et utilise les mêmes outils.

Richard Barrett, ancien directeur de la lutte contre le terrorisme au MI6, déclare: «Le terrorisme ne sera pas vaincu par les seules mesures de sécurité. Nous devons plutôt rechercher les raisons sous-jacentes qui poussent les jeunes à rejoindre ces groupes et adopter des mesures capables d'y remédier. Nous devons également écarter les postulats incapables de comprendre la mentalité terroriste». Le rapport de l'Unité des Sciences Comportementales du MI5 indique que la plupart des personnes impliquées dans les crimes terroristes sont loin du fanatisme religieux, ne pratiquent pas régulièrement leur religion et manquent souvent de connaissances et de culture religieuses. Ce sont des débutants en religion. Il est donc difficile pour une personne religieuse éclairée de s'impliquer dans l'extrémisme violent. C'est l'une des caractéristiques du message médiatique à soutenir: un message religieux plus modéré et tolérant qui englobe la grande diversité des sociétés humaines.

Les mécanismes de confrontation intellectuelle visant à démontrer la fausseté de la légitimité du discours terroriste comprennent deux niveaux: le niveau global, le niveau détaillé, puis les initiatives qui soutiennent les processus de délégitimation du discours.

Mécanismes de confrontation intellectuelle

I- Niveau global

  • Le problème des médias des mouvements extrémistes doit être traité comme un problème politique à l'origine, avec une dimension médiatique, et non l'inverse. La fin de la violence et du chaos dans certains pays signifie la disparition des justifications des mouvements extrémistes, d'autant plus que les mécanismes de fonctionnement évoqués dans le livre «Gestion de sauvagerie» consistent à déclencher des conflits et de guerres, causer un grand nombre de victimes et engendrer la sauvagerie (état de chaos en l'absence d'État de droit et d'État), permettant l'expansion du mouvement extrémiste par la polarisation et le recrutement.
  • La nécessité de reconnaître les sentiments associés aux images mentales profondes chez les jeunes frustrés car ces sentiments véhiculent des idées imaginaires sur le changement du monde et le rétablissement de l'équilibre. Daech a présenté un discours très extrémiste fondé sur les sentiments religieux et émotionnels et l'invocation de modèles historiques.

II- Niveau détaillé

Sur le plan intellectuel, une attention particulière devra être accordée aux efforts de délégitimation visant à supprimer les justifications du comportement violent et clarifier les opinions qui invalident ces justifications. Cela nécessite d'analyser ces idées et de démontrer leur fausseté et leur illégitimité, dans le cadre de la sensibilisation et de la promotion des valeurs de tolérance, de respect mutuel, de coexistence pacifique entre les cultures et les religions, y compris la promotion de la culture et de l'éducation.

Centre de gravité

Le centre de gravité du groupe est constitué de plusieurs niveaux de soutien, comme la défense morale et la participation directe. Plus le centre de gravité du groupe est profond, plus sa légitimité auprès du segment cible est grande. Le processus de délégitimation doit donc affaiblir les faibles niveaux de soutien avant de s'attaquer aux niveaux profonds, ce qui nuit à la légitimité du groupe en convainquant ses sympathisants, partisans passifs et actifs et ses recrues potentielles qu'il est mensonger et ne mérite pas d'être soutenu ou rejoint. Lorsque cet objectif est atteint, le centre de gravité de l'organisation terroriste commence à vaciller et se dissiper.

Parmi les expériences riches dans ce domaine figurent la « Campagne Sakinah » au Royaume d'Arabie Saoudite, promue par le ministère des Affaires islamiques. Il s'agit de mettre pied de façon personnelle et amicale sur les sites Web, forums et groupes Internet, et de dialoguer avec les extrémistes et leurs sympathisants qui se cachent derrière des pseudonymes, à travers une équipe de travail de diverses spécialisations, qui atteint ensemble les objectifs de la campagne à travers des moyens appropriés, où les concepts corrects sont diffusés et les idées déviantes discutées en public ou via des messages privés ou des programmes de chat bilatéraux, mettant l'accent sur le contenu religieux, en toute politesse, et en tenant compte des disparités culturelles des interlocuteurs.

La campagne a réussi à déradicaliser des centaines de jeunes convaincus des idées extrémistes.


Plateformes médiatiques

Le nombre de jeunes dans le monde, âgés de 15 à 24 ans, est d'environ 1,2 milliard dont 25 % sont touchés par la violence et les conflits armés. Internet est considéré comme un vaste espace d'interaction et d'échange d'idées entre les jeunes, ce qui accroît la nécessité de fournir un discours médiatique opposé permettant de démanteler, réfuter et vider les messages extrémistes de leur contenu par:

  1. Exploiter les plateformes médiatiques de jeunesse qui disposent de soft power et de large présence sur les sites de réseaux sociaux, et les renforcer avec des messages antiterroristes indirects, logiques, affectifs et contraires au style direct et grossier des chaînes d'information et des talk-shows.
  2. Réfuter le discours médiatique de ces groupes se disant opprimés, tels Al-Qaïda et Daech, en diffusant les témoignages des victimes de ces organisations, la cruauté à laquelle elles font face et l'injustice qui leur est infligée, tels que les sévices commis contre les femmes yézidies.

III- Soutenir les initiatives artistiques

Un ensemble d'études indique que les artistes sont les moins sensibles aux appels des organisations terroristes: Daech a fermé les écoles des beaux-arts dans les zones qu'il contrôlait et a cherché à détruire les peintures, sculptures et antiquités dans les musées et les zones sous son contrôle.

L'un des maux de l'esprit frustré qui constitue l'essence du loup solitaire est la distraction et la tension, dues à l'incapacité de faire face aux circonstances stressantes environnantes: politiques, économiques, sociales ou autres. Les humains ont besoin de freins sociaux pour garder leur équilibre mental, car la société façonne les valeurs, la morale, les principes et le comportement approprié de l'individu. Ces valeurs créent chez l'individu un sentiment essentiel de «réalité» pour prévenir l'automutilation.

C'est le sens de la réalité qui fait la différence entre le suicide et le fait de s'accrocher à la vie. La personne suicidaire souffre d'une confusion mentale qui lui fait penser que cette vie ne vaut pas la peine d'être vécue ! Cela nous donne une explication de ce qui arrive à l'extrémiste qui perd le sens de la réalité, considère la vie comme souillée et ne valant pas la peine d'être vécue, et aspire au sacrifice de soi et à la libération du présent.

L'un des moyens qui permet de connecter une personne à la réalité est de développer sa créativité artistique et esthétique, car la relation entre l'art et la beauté est étroite, l'art étant considéré comme une manifestation de la beauté. D'un point de vue social et culturel, le sens de la beauté est source d'idées positives, constructives et sublimes. Le journal Guardian a publié un article de la journaliste Helen Dancer, qui parle de la capacité de certains jeunes tunisiens marginalisés à vaincre Daech grâce à l'art. Les jeunes ont réussi à organiser dans les rues des événements auxquels ont participé des chanteurs et artistes internationaux. Ils ont également organisé des ateliers et des formations pour enseigner aux jeunes l'art du graffiti pour valoriser leur identité et développer leurs sentiments, leur sens de la réalité et leur estime de soi, et pour éviter de gâcher leur vie et de se perdre en rejoignant des mouvements extrémistes. Il convient de noter que plus de 5500 jeunes Tunisiens âgés de 18 à 35 ans ont rejoint des mouvements extrémistes, et les experts ont indiqué que l'un des moyens les plus importants pour attirer la jeunesse tunisienne vers les mouvements extrémistes est le sentiment d'appartenance et de finalité. Dans cette stratégie, les partenaires de la société civile devraient soutenir les initiatives artistiques et esthétiques pour s'exprimer, renforcer l'identité et évoquer les problèmes clés.

Les voies de confrontation intellectuelle et les initiatives esthétiques sont l'un des moyens puissants et efficaces de circonscrire l'extrémisme et promouvoir la paix et la stabilité dans les sociétés. Elles visent à réfuter les thèses mensongères et permettent aux individus d'acquérir une compréhension plus profonde des réalités culturelles, ce qui réduit les risques des idées fallacieuses et les tensions qui en résultent, et favorise le respect mutuel et la coexistence pacifique.

Les ministères de l'Éducation peuvent jouer un rôle important dans la promotion de ces filières, en valorisant les principes de tolérance et de coexistence pacifique, en encourageant des discussions significatives, en prêtant attention à la sensibilisation et à la pensée critique et en motivant les individus à prendre des décisions éclairées.

Les initiatives esthétiques jouent un rôle essentiel dans la création de communication, de compréhension et d'harmonie entre les individus, en raison de leur capacité à développer les sentiments, la sensibilité et l'harmonie entre les gens. Grâce aux arts plastiques, à la littérature, à la musique, au cinéma et au théâtre, les gens peuvent s'exprimer et partager leurs opinions et leurs connaissances de manière créative et inspirante. L'intérêt des gouvernements pour ces voies contribue à bâtir une société sûre et pacifique.​​​