Les groupes terroristes utilisent divers moyens pour mettre en œuvre leurs politiques et atteindre leurs buts et objectifs idéologiques. Au premier plan de ces moyens figurent la violence et le sabotage, en plus de l’enlèvement d’innocents, individuellement ou collectivement, pour les prendre en otage. Ce type d’opérations terroristes a augmenté de façon alarmante ces dernières années. Le groupe terroriste Boko Haram au Nigeria est à l’avant-garde des organisations qui commettent ces crimes terroristes. Les enlèvements dans les écoles ont connu une augmentation significative en 2020 touchant les villes et les États du nord. Des milliers d’enfants et de femmes en ont été victimes, faisant du Nigéria le troisième pays au monde dans la classification du terrorisme mondial, selon l’indice mondial du terrorisme pour l’année 2020.

Cet article met en lumière la réalité des enlèvements de masse commis par Boko Haram, ses objectifs à long terme et ses effets sociétaux, ainsi que la politique des autorités nigérianes face à ces opérations.

Boko Haram et les enlèvements de masse
Le groupe Boko Haram procède d’une idéologie stricte et extrémiste dans sa lecture des textes religieux, et a opté pour la violence armée dans sa confrontation avec l’État-nation, et avec tous ceux qui s’opposent à sa conduite idéologique, surtout après sa transformation d’un groupe de prêche à caractère civil à un groupe armé en 2004, quand il a déclenché la première étincelle de la violence contre les forces de sécurité. 

La région du nord du Nigeria a connu les enlèvements massifs à caractère terroriste récemment après les événements de 2009, au cours desquels les dirigeants de Boko Haram, dont son fondateur Muhammad Yusuf et certains de ses sympathisants ont été liquidés, quoique les enlèvements d’ouvriers étrangers soient fréquents dans la région du Delta du Niger, dans l’est du pays, aux mains de gangs et de groupes tribaux armés visant à exercer des pressions politiques sur le gouvernement central.

Les objectifs de Boko Haram en matière d’enlèvements collectifs peuvent être résumés comme suit:
  1. Agiter l’opinion publique, effrayer et menacer les citoyens, et montrer son sérieux dans la mise en œuvre de son credo qui rejette l’éducation laïque occidentale et la fréquentation des écoles publiques occidentales.
  2. Vengeance et représailles contre les membres des forces de sécurité qui détiennent nombre de ses dirigeants.
  3. Utiliser les otages pour les échanges et pour renforcer sa position dans les négociations avec les autorités. 
  4. Avoir une ressource matérielle rapide pour renforcer ses rangs et recruter de nouveaux combattants.
  5. Créer un problème d’opinion publique pour exercer des pressions sur le décideur politique et les autorités au pouvoir et susciter l’émoi, surtout lorsque les victimes sont des enfants ou des femmes. D’autres groupes extrémistes ont emboîté le pas à Boko Haram, faisant du kidnapping une activité lucrative.
  6. Financer ses diverses opérations grâce aux rançons versées pour libérer les kidnappés.
  7. Promouvoir l’idéologie du groupe dans les médias et se faire une renommée mondiale en entretenant son nom dans les médias et en s’offrant de la publicité gratuite.

Historiques des enlèvements
Les enlèvements individuels et collectifs du groupe terroriste Boko Haram ont connu plusieurs phases, en parallèle avec le développement de ses activités terroristes, dont les plus marquantes sont:
  1. L’étape des enlèvements pour prouver son existence et confirmer sa puissance et sa suprématie militaires. Ces enlèvements menés par des individus étaient alors un objectif en soi.
  2. L’étape d’enlèvements pour équilibrer et renforcer sa position. Les kidnappings ciblaient alors les agents de sécurité et de l’armée, les commandants de terrain ou les groupes rivaux. Ainsi, après que le gouvernement nigérian a imposé l’état d’urgence en mai 2013 dans les gouvernorats d’Adamawa, Borno et Yobe, Boko Haram a redoublé d’efforts pour cibler les groupes vulnérables, dont les femmes, enfants, élèves et paysans. Abubakar Shekau, chef du groupe, a averti que ses combattants se vengeront des familles des forces de sécurité nigérianes qui ont arrêté les femmes et les enfants des membres de son groupe.
  3. L’étape multifonctions usant d’enlèvements collectifs pour plusieurs objectifs : recruter des combattants, obtenir des rançons, gagner la sympathie, faire pression sur l’ennemi et faire de la propagande médiatique.

Les enlèvements les plus retentissants
Le Nigeria a connu des enlèvements avec toutes sortes de motifs, mais c’est Boko Haram qui a le premier procédé à des enlèvements collectifs à des fins terroristes purement idéologiques. Après avoir adopté les enlèvements dans sa stratégie terroriste, la situation a empiré au point d’effectuer quatre enlèvements en moins de trois mois. En voici les plus importants :
  • L’enlèvement collectif de Bama, État de Borno menée dans une caserne de police, en mai 2013, ayant ciblé 8 enfants et 4 femmes.
  • Le célèbre enlèvement de Chibok en avril 2014, ayant ciblé 276 filles de l’école secondaire de Chibok, dans l’État de Borno. Environ 100 d’entre elles sont toujours portées disparues.
  • L’enlèvement de Dapchi: 111 filles de l’internat d’une école publique ont été kidnappées à Dapchi, État de Yobe, à environ 300 km de Chibok, le 19 février 2018.
  • L’enlèvement de Kankara: Le 20 décembre 2020, des hommes armés ont kidnappé près de 350 garçons dans une école à Kankara, État de Katsina (nord-ouest), ville natale du président Buhari, mais les forces de sécurité ont réussi à les libérer.
  • L’enlèvement de Kajara: le 17 février 2021, un groupe armé a pris d’assaut l’école secondaire publique de Kajara, État du Niger et enlevé 27 élèves, 3 employés et 12 personnes.

Les enlèvements collectifs ont eu des effets négatifs évidents sur toutes les activités sociales, en particulier les activités éducatives avec la fermeture d’écoles, la suspension d’études et l’abandon d’enseignement par les enseignants et les élèves. Plus de 600 enseignants ont été tués dans les attaques d’écoles, 19000 enseignants ont fui et d’autres ont été menacés ou kidnappés dans les États de Borno, Yobe et Adamawa, etc.

Enlèvement de lycéennes
L’enlèvement des lycéennes de Chibok a marqué une importante étape dans l’historique du groupe terroriste Boko Haram à cause de ses effets sociétaux et internationaux et ses nombreuses répercussions.

Dans la nuit du 14 avril 2014, un groupe armé d’éléments de Boko Haram a attaqué l’école secondaire publique pour filles à Chibok, au Nigéria. Les hommes armés ont pris d’assaut l’école et tiré sur les gardes. Ils ont kidnappé un grand nombre d’élèves qui ont été apparemment emmenées vers la forêt de Sampsia. Au cours de l’opération, plusieurs maisons de Chibok ont également été incendiées.

L’école était fermée pendant quatre semaines avant l’attaque, faute de sécurité. En fait, toutes les écoles secondaires du district de Borno étaient fermées depuis la mi-mars à cause des attaques de Boko Haram. Cependant, la décision d’ouvrir cet établissement a été prise pour permettre aux lycéennes de différents établissements de passer l’examen final dans des matières scientifiques, et c’est alors que Boko Haram a réussi à kidnapper 276 élèves. 57 de ces filles ont réussi à s’échapper quelques mois après l’incident.

Le 6 mai de la même année, 8 autres filles ont été kidnappées par Boko Haram dans le village de Waraba, dans le nord-est du Nigeria. Selon le Département des examens, 530 élèves de 16 à 18 ans étaient inscrites des différents villages près de la ville pour passer le baccalauréat. Cependant, le nombre exact de celles présentes au moment de l’attaque n’était pas connu. Environ un mois après l’enlèvement, le 12 mai 2014, le chef de Boko Haram, Abu Bakr Shekau, est apparu dans un clip vidéo pour annoncer la volonté du groupe de rendre les écolières kidnappées à leurs familles, en échange de la libération par les autorités nigérianes des membres du mouvement détenus par le gouvernement nigérian. Dans le clip, environ 130 filles sont apparues récitant la sourate Al-Fatihah, et Shekau, de commenter que les écolières s’étaient converties à l’islam.

Le gouvernement nigérian a rejeté l’offre du groupe et le 22 mai, les enseignants nigérians ont organisé des manifestations à travers le pays, appelant au retour des filles et à la construction de clôtures autour des écoles en plein air. Le 27 mai, le chef d’état-major de l’armée nigériane a annoncé que l’armée avait pu localiser les filles, et promis de les ramener. Le 28 mai, 4 filles se sont échappées, et selon les informations disponibles, le nombre total de lycéennes libérées étaient de 163 sur 276.

Interaction internationale envers l’enlèvement
Cet incident a attiré une attention remarquable au niveau international. Plusieurs pays et organismes internationaux ont proposé d’aider le gouvernement nigérian dans la recherche et la libération des filles kidnappées. Des unités américaines ont participé aux opérations de recherche, et une campagne a été lancée sur les réseaux sociaux appelant à leur libération. Le Royaume-Uni a fourni une équipe d’experts et de conseillers en développement international du ministère des Affaires étrangères et d’autres institutions, et les États-Unis ont envoyé une équipe de militaires, policiers et négociateurs en questions d’otages.

Gordon Brown, l’envoyé spécial des Nations Unies pour l’éducation a parlé d’un projet visant à renforcer la sécurité des écoles nigérianes. Le président français de l’époque, François Hollande, a exprimé la disposition de son pays à réunir les pays africains pour discuter des crimes du groupe Boko Haram, ce qui fut fait plus tard. Le Premier ministre chinois Li Keqiang a annoncé que son pays a fourni au Nigeria des informations utiles de renseignement. Israël a également offert sa volonté d’aider le Nigeria à surmonter cette épreuve. 

Enlèvement et paiement de rançon
La récurrence des histoires d’enlèvements de masse confirme la théorie de doute envers le comportement public, qui déduit que le processus est devenu un métier pour certaines parties. La théorie révèle l’aspect économique de ces opérations et affirme que les victimes ne sont pas seulement riches ou célèbres mais souvent des pauvres, et notamment les écolières qui se rassemblent en grand nombre dans les internats. Les auteurs sont généralement des gangs terroristes et des voyous qui profitent de la faiblesse de la police et de la disponibilité des armes dans le pays.

D’autres facteurs encouragent les ravisseurs dont notamment la pauvreté, le chômage, le sentiment de désespoir et les inégalités, étayés par les grandes surfaces que l’Etat ne contrôle pas, la facilité de constituer des gangs et de posséder des armes et les technologies de communication avancées. Les rançons ont contribué à la croissance de l’industrie des enlèvements, ce que les responsables gouvernementaux déplorent généralement. Un rapport des renseignements nigérians SBM révèle que les ravisseurs ont obtenu au moins 18 millions de dollars entre juin 2011 et mars 2020.

Le gouvernement et les enlèvements collectifs
Face aux enlèvements collectifs adoptés par le mouvement Boko Haram, le gouvernement nigérian a pris de nombreuses politiques et mesures, notamment:
  • Changement de commandants militaires: le président Buhari a remplacé les commandants de l’armée suite à l’intensification de la violence et ordonné une opération militaire à grande échelle après le retour sain et sauf de près de 300 filles kidnappées.
  • Lancement d’opérations conjointes: le président Buhari a déclaré que l’objectif principal du gouvernement nigérian est le retour en sécurité de toutes les écolières prises en otages et appelé les gouvernements des États à revoir leurs politiques sécuritaires et la police et les forces armées ont commencé des opérations conjointes pour libérer les filles.
  • Lancement de la campagne pour «le retour de nos filles» (#Bring Back Our Girls), qui a reçu un grand soutien sur les réseaux sociaux, ainsi que le soutien de la première dame des États-Unis d’alors, Michelle Obama.
  • Initiative de l’école sécurisée: Cette initiative a été lancée après l’enlèvement des filles de Chibok pour améliorer la sécurité dans les écoles de la région nord-est du Nigeria, en construisant une clôture autour de chaque école. Le gouvernement a promis au moins 14 millions de dollars sur trois ans pour ce projet soutenu par Gordon Brown, l’envoyé onusien pour l’éducation mondiale et ancien Premier ministre britannique.
  • Le Nigéria a adopté la Déclaration internationale sur la sécurité dans les écoles en mars 2015, stipulant notamment: L’obligation de protéger l’éducation lors des conflits armés. Le président Buhari a approuvé la déclaration en 2019 et promis que le gouvernement mettra en œuvre la déclaration conformément à la loi.
  • Les autorités locales et fédérales ont alloué des aides financières à environ 57 èlèves qui ont fui Boko Haram. Cependant, ce ne sont pas toutes les victimes de Boko Haram qui ont bénéficié de cette assistance soutenue par des agences internationales et des gouvernements étrangers.
  • Lancement des initiatives nationales bénévoles de personnalités religieuses, politiques et sociales, pour le projet de dialogue direct et de négociation pacifique, entre les composantes de la société pour tempérer les options militaires visant à libérer les kidnappées.

Conclusion
Il ne semble pas que les enlèvements individuels ou collectifs, cesseront dans un avenir proche, mais les efforts militaires et sécuritaires équilibrées du gouvernement pourraient réduire les capacités des groupes terroristes à mener des enlèvements collectifs. Certaines mesures ont été prises à cet égard et de nombreuses autres options sont encore à l’étude.

Les efforts de bons offices des initiatives nationales lancées récemment dans plusieurs régions du nord du pays semblent jusqu’à présent être bénéfiques et porter leurs fruits, quoique timidement. Cependant, l’accueil favorable des populations et des différentes composantes de la société civile à ces initiatives témoigne de l’utilité de la médiation entre toutes les parties, dont sans doute les groupes extrémistes et terroristes.