Entre les années (2000 - 2020), la scène sécuritaire en Asie du Sud-Est a retenu l'attention mondiale, à la suite de la première vague d'attaques terroristes violentes lancée par le GI et l'arrestation de dizaines de terroristes. Ce groupe s'active dans le sud des Philippines, Indonésie, Malaisie, Singapour et Australie. Il entretient des réseaux avec des entités séparatistes et terroristes étrangères comme le Front de Libération Moro, le Conseil Indonésien des Moudjahidines, l'organisation des Moujahidines Kumbolan en Malaisie, le Mouvement des Moujahidines Pattani en Thaïlande, le groupe Abu Sayyaf et Al-Qaïda aux Philippines.

Daech en Asie

Le groupe a lancé de nombreuses attaques majeures comme celles de Bali en 2002, et les attentats simultanés aux hôtels Marriott et Ritz-Carlton à Jakarta en 2009. Depuis lors, aucune attaque majeure n'eut lieu.

Après l'annonce de la création du soi-disant Califat en Irak et en Syrie par le trépassé Abu Bakr Al-Baghdadi, Daech a déclenché une vague d'attentats violents en 2014. Depuis lors, cette propagande s'est propagée en dehors du Moyen-Orient et de l'Afrique entre les groupes extrémistes à travers le monde.

Fin 2014, le chef spirituel du GI en Indonésie a prêté allégeance à Al-Baghdadi. En septembre, le bataillon de Daech «Nusantara» était devenu un nom familier parmi les extrémistes d'Asie du Sud-Est. Daech a coopéré avec des membres de groupes philippins dirigés par le chef du groupe Abu Sayyaf, mis sur la liste terroriste des États-Unis et produit de nombreuses vidéos de propagande. Des dizaines d'attaques terroristes inspirées par l'EI y ont fait la une des journaux, dont la plus importante a ciblé le siège de Marawi en 2017.

​Inévitable désaccord

Les membres du GI et Daech adoptent les mêmes principes idéologiques et pratiquent le terrorisme contre les musulmans et les non musulmans. Cependant, ces dénominateurs communs n'ont pas empêché l'apparition de désaccords et d'affrontements dont les plus importantes sont :

1) Manque de confiance

Il s'agit d'une raison majeure du conflit entre les deux groupes. Cela est d'ailleurs justifié selon le GI, puisque les crimes de Daech et sa brutalité envers les civils est inouïe, ce qui nuit à la vision mondiale envers le concept de djihad, et constitue une raison directe du rejet populaire du djihad et des mouvements djihadistes.

Selon les chercheurs, des membres du GI croient que Daech est le bras long de l'Occident qui cherche à déformer les pratiques du djihad, ce qui a poussé le GI à inciter toutes les parties à faire face à Daech. En 2014, le trépassé Ayman al-Zawahiri a désavoué tout lien avec l'EI. À la lumière des liens étroits entre Al-Qaïda et le GI, ce dernier a pris une position ferme envers l'EI.

2) Objectifs différents

Les autorités locales ont arrêté des membres du GI singapourien pour la première fois en 2001 et il s'est avéré que le groupe a choisi de faire de l'Indonésie un État islamique au nom de « l'État islamique de Nusantara» ou « État islamique de l'archipel », composé de  Singapour, Malaisie, Brunei, Indonésie, sud de la Thaïlande et Mindanao.

Le «Guide Général de lutte du GI» détaille les plans du groupe dont l'objectif est de mener des opérations permettant l'établissement d'un État islamique comprenant l'archipel malais. Il estime que la montée de Daech et des groupes affiliés dans la région ne profite qu'aux autorités locales dans la lutte contre leurs ennemis.

D'autre part, Daech n'a jamais reconnu le concept bien établi de l'État-nation, ni les frontières des États, ce qui explique la propagation de sa propagande en dehors du Levant au Khorasan, Afrique centrale et Afrique de l'Ouest. En Asie du Sud-Est, les factions armées fidèles à Daech dans le sud des Philippines poursuivent leurs activités d'usure contre les forces de sécurité locales dans des affrontements armés continus.

Le groupe «Ansar du califat des Philippines» est connu pour ses affrontements contre les forces gouvernementales en 2017 et à qui on impute des exécutions brutales à l'instar de Daech. Il aurait participé au siège de Marawi en 2017. En Indonésie, le Groupe Ansar Adawla, pro-Daech, aurait activement planifié et perpétré des attentats terroristes. L'année dernière, l'EI a publié un message audio de 36 minutes appelant les musulmans des Philippines, Singapour, Malaisie, Indonésie, Inde et d'autres pays d'Asie de l'Est à le rejoindre. Le risque de propagation de Daech dans la région est dû à l'impact de ses combattants étrangers aguerris au combat de retour dans leur pays d'origine.

3) Formation dissimilaire

Les différences entre les deux groupes peuvent se révéler à l'examen des profils de leurs membres. Le GI comprend des vétérans bien formés militairement, physiquement et intellectuellement en Afghanistan ou au Pakistan. Chacun doit assister à la réunion de famille présidée par le «commandant de la cellule d'opérations», au cours de laquelle les participants reçoivent des conseils idéologiques, pédagogiques et pratiques. Grâce à cette éducation rigoureuse, ils ont assimilé le concept du grand djihad, selon leur interprétation, celui d'éradiquer les ennemis et d'établir un État islamique régi par les lois islamiques.

En revanche, les individus et les groupes fidèles à Daech manquent de véritables références sur le terrain. La plupart d'entre eux appartiennent à la catégorie des jeunes, et choisissent souvent la voie la plus rapide pour obtenir le statut ou le titre de «prédicateur djihadiste». Ils soutiennent leur image sur les plateformes de médias sociaux par le biais de discours et de déclarations.

Les vétérans du GI soutiennent que les jeunes partisans de Daech se sont impliqués dans la cause djihadiste sans préparation adéquate, gagnant leurs lettres de noblesse uniquement via les plateformes de médias sociaux plutôt que d'être de vrais djihadistes.

4) Vision djihadiste différente

Au sein du GI, il y a une faction qui adopte la méthodologie de prédication, d'éducation et de reconstruction des ressources économiques et humaines, en priorité au djihad armé. Cependant, l'existence d'un groupe qui opte pour la violence en vue d'accélérer l'établissement d'un État islamique, ou mène des attentats terroristes, a incité les gouvernements d'Asie du Sud-Est à le traquer et le démanteler violemment depuis 2001. Les forces de sécurité indonésiennes poursuivent cette approche de confrontation et d'arrestations régulières jusqu'à aujourd'hui.

En 2021, l'émir du GI Para Wijayanto a reconnu que son groupe était affronté à de grandes difficultés depuis les incidents de Bali. Vu la pugnacité des forces de sécurité indonésiennes, le groupe procède à développer un nouveau système d'exploitation standard qui vise à améliorer la flexibilité des membres, préserver la confidentialité et éviter les arrestations. Sous la direction de Wijayanto, l'organisation a recruté des combattants indonésiens et les a formés à l'utilisation des armes et l'installation de bombes dans douze sites d'entraînement en Indonésie. Il a collecté de l'argent pour aider les combattants à affronter les forces de Bashar al-Assad. Le groupe fut ainsi impliqué dans l'incitation à la violence à l'étranger.

Selon cette perspective, le système d'opération du groupe adopte le principe de «l'appel avant le djihad», c'est-à-dire qu'il est peu probable que le groupe envisage de lancer une attaque violente dans un avenir proche. Cette évolution a conduit certains membres à rejoindre le groupe qui appelle à la violence pour que quelques-uns fassent défection vers des groupes pro-Dech.

Les militants de l'EI s'emploient à attiser le terrorisme en Asie du Sud-Est, le sud des Philippines et entre les forces de l'État. Cependant, le siège de «Marawi» en 2017, a été le conflit armé le plus important, auquel des militants alliés à l'EI ont participé dans cette région. On pense que le Groupe Ansari Addawla, inspiré par l'EI était à l'origine du récent attentat suicide dans la province occidentale de Java, en Indonésie, ainsi que de l'attentat à la bombe contre la cathédrale de Makassar en 2021. La Malaisie a également eu sa part d'attentats de Daech en juin 2016, lorsque le groupe a revendiqué l'attaque à l'engin explosif improvisé contre un bar à Selangor.

5) Vision politique différente

Pour l'Agence indonésienne de lutte anti-terrorisme, malgré l'arrestation de dizaines de fonctionnaires, de policiers et de responsables militaires associés au GI, le groupe terroriste s'est infiltré dans les institutions religieuses et civiles pour répandre son idéologie déviante et extrémiste. Il a également infiltré secrètement la sphère politique indonésienne et son existence n'a été découverte que lors une arrestation de Farid Ahmed Uqba, le conseiller du GI et le fondateur du Parti populaire indonésien Dakwa début 2021.

Selon des documents judiciaires indonésiens relatifs à nombre de dirigeants condamnés du GI, le groupe a lancé en 2016 une entité politique appelée «Autonomisation politique», comme l'une de ses stratégies pour gagner la sympathie et la confiance des musulmans indonésiens, après avoir conquis leurs cœurs et leurs esprits.

Certaines recherches révèlent que le mouvement terroriste touche la fin de son cycle de vie et que le GI a temporairement reporté ses opérations afin d'obtenir le soutien de la population. Bien que les membres du groupe soient complètement interdits de participer aux élections et de voter, l'idée d'union politique a mûri en 2015, et la déclaration publiée par le groupe a encouragé les citoyens musulmans à voter pour un candidat parlementaire qui puisse prendre soin de leurs intérêts lors des élections de 2019. Ceci montre que le GI est prêt à rejeter la démocratie et s'engager dans le processus politique, si cela sert ses intérêts et sa survie.

Quant à Daech, il n'a montré aucun signe de flexibilité envers l'action politique et le califat lui est considéré comme étant le seul système de gouvernement légitime en Islam. Il a déclaré, en 2022, qu'il refuse catégoriquement d'établir toute relation ou communication avec des entités non islamiques.

Nous pouvons souligner en fin que les idées promues par les deux organisations (Daech et le Groupe islamique), semblent similaires, mais ne se traduisent pas forcément par des vues cohérentes, des objectifs communs et des méthodes d'action unifiées. Ceux qui adoptent une approche pacifique, temporaire et secrète d'action politique envisageront sérieusement la possibilité de se ranger du côté du GI, alors que l'EI sera la meilleure option pour ceux qui préfèrent un changement rapide et coercitif par la violence et le terrorisme.​