​On parle de plus en plus de terrorisme, d’extrémisme, ainsi que de conflits et de violences qui en découlent. La plupart des discussions autour de ces termes implique des croyances religieuses, des intérêts ethniques ou des valeurs nationales qui entrent en conflit avec les principes d’une ou plusieurs minorité(s) appartenant à la même société. 

Ainsi, notre propos porte sur des actes politiques radicaux, concernant des valeurs aussi bien anthropocentriques qu’écologiques. Toutefois, pouvons-nous désigner ces actes comme étant des actes d’éco-terrorisme? Si l’on s’accorde en effet avec Frederick (1993), pour définir l’éco-terrorisme comme une dégradation environnementale délibérément et méthodiquement organisée afin d’atteindre des objectifs politiques, on peut donc penser à des actes posés contre des ressources environnementales, tels que des forêts, des cours d’eau, ou contre des ouvrages de production énergétique à incidences environnementales, tels que des barrages, des centrales nucléaires, des pipelines, …etc.

Terrorisme et Sécurité Écologique
Selon Sandrine Staffolani, il existe trois catégories de terrorisme: (1) Le terrorisme qui soutient la libération nationale ou la séparation ethnique; (2) Le terrorisme de gauche; et (3) Le terrorisme islamique. Cette définition convient au contexte des attentats politiques et des conflits religieux survenus récemment dans les pays occidentaux (le 11 Septembre 2001 à New York, le 7 Juillet 2005 à Londres et le 13 Novembre 2015 à Paris). Par contre, il est impensable à première vue de classer le terrorisme s’appliquant à des oppositions entre êtres humains, dans des actes radicaux consistant à défendre des valeurs «écocentriques». Pourtant, l’éco-terrorisme est considéré aux États-Unis comme du terrorisme et à ce titre, réprimé comme tel par des lois fédérales dirigées contre tout acte violent visant des installations, des entreprises ou toute autre institution ayant trait aux animaux, soit en endommageant ou en détruisant des biens personnels, soit en exposant des personnes à des risques éventuels.

En rapport avec ce qui précède, et compte tenu des types d’objectifs poursuivis par le terrorisme et son but avoué de porter atteinte à l’intégrité fonctionnelle de l’État et au bien-être des populations, il convient d’admettre que ces actes relèvent principalement du champ d’investigation de la «sécurité environnementale».

Selon la théorie du contrat social, élaborée par Rousseau (Frédérick, 1993), les humains se sont volontairement constitués en un corps politique - l’État - afin d’accroître leur sécurité. Les questions relatives à cette sécurité ont été nécessairement associées à la survie de l’État, c’est-à-dire à sa protection à l’interne contre toute insurrection, ainsi qu’à sa protection à l’externe contre toute agression. C’est ce que l’on a appelé la «sécurité nationale», dont le renforcement s’est opéré au fil du temps par une consolidation de la détention effective par l’État du monopole de la violence sur son territoire, et par une compétition essentiellement militaire sur la scène internationale entre les États. Puis, il a été ensuite donné de voir que «les dimensions non militaires de la sécurité prennent une place de plus en plus importante dans les comportements étatiques». Ce qui a conduit dans les années 80, à une redéfinition du concept de sécurité nationale, afin d’en élargir la base par rapport à l’approche traditionnelle trop étriquée. L’émergence de ce concept devenait ainsi inévitable dès lors que l’on associait dorénavant «sécurité nationale» et «qualité de vie» dans un contexte de plus en plus marqué par les questions environnementales dans les préoccupations nationales et internationales.

Menace Environnementale de la Sécurité
Les développements de l’écologie au cours de ces décennies ont donné lieu à une réflexion nouvelle sur l’interdépendance étroite entre l’homme et la nature, associée instantanément à la recherche de la sécurité. Désormais, la survie des sociétés dépend à la fois de la maîtrise des armes nucléaires, mais aussi et surtout d’une saine gestion des assises écologiques de la biosphère. Des ouvrages connus comme «The Silent Spring» (Printemps silencieux) et «Limits to Growth» (Stop à la croissance), ont sonné l’alerte sur le caractère épuisable des ressources naturelles et énergétiques nécessaires au fonctionnement de notre société. L’origine transfrontalière de certaines nuisances, telles que les pluies acides par exemple, essentiellement liées à la pollution industrielle, fera ressortir la nécessité d’une concertation inter-étatique dans la recherche de solutions durables. En outre, des phénomènes globaux, tels que l’effet de serre, les changements climatiques, la gracilité de la couche d’ozone et l’épuisement du patrimoine génétique, se sont ajoutés à une liste déjà longue d’autres problèmes, tels que la désertification, la déforestation, la pollution marine, les déchets radioactifs, industriels et domestiques, l’érosion des terres, …etc., qui constituent collectivement une menace bien réelle pour l’homme et ses institutions. Cet accroissement de la menace environnementale a ensuite été fort bien documenté dans le rapport Brundtland (1987) et dans les travaux préparatoires de Rio (1992). Ces documents explorent non seulement des pistes de solutions fondées sur le développement durable, mais font aussi ressortir la précarité des dispositifs internationaux de gestion environnementale, justifiant du coup certains ravages écologiques, principalement liés aux conflits armés et/ou au terrorisme.

L’impact des conflits armés est le plus durable, avec des conséquences à la fois sérieuses et de long terme sur les éco-systèmes et sur la population. Ainsi, encore aujourd’hui, 100 ans après la première guerre mondiale, les agriculteurs du Nord-Est de la France doivent parfois interrompre leurs travaux pour avoir trouvé un obus enfoui dans le sol. Le Koweït a été très éprouvé par les catastrophes écologiques provoquées par la mise à feu de centaines de puits de pétrole, lors de la guerre du golfe de 1991. Le 11 Septembre 2001, les États-Unis ont été frappés par une série d’attaques terroristes, sans précédent, conçues pour provoquer des pertes massives, civiles et matérielles. Puis le bio-terrorisme est entré en scène. Des spores d’anthrax mortelles ont contaminé le courrier et provoqué encore plusieurs décès. La tragédie aurait pu s’arrêter là; mais c’était sans compter avec la contamination de l’environnement: Les explosions et la chute des tours ont libéré dans l’atmosphère différents composés: Des métaux, des éléments organiques et minéraux, des microparticules, mais aussi de produits de combustion et d’amiante sous forme de poussière, ainsi que des gaz toxiques très nocifs à la santé des résidents et des personnes travaillant à proximité au quotidien.

Aussi, les analyses des conséquences environnementales une décennie après, remettent-elle en cause les décisions prises à l’époque par les agences de veille sanitaire. En effet, des microparticules des composés résultant de la chute des tours, et disséminées par les nuages de poussière ont pu atteindre les personnes présentes, provoquant par la suite des pathologies, telles que les affections pulmonaires et principalement cancérogènes et cardio-vasculaires.

Champ d’Application de la Sécurité Environnementale
Les études ont abordé les conséquences de la dégradation des éco-systèmes et de l’épuisement des ressources naturelles. Aussi, est-on tenté de se demander quelle réalité empirique cherche-t-on à décrire par l’expression «sécurité environnementale»? Deux tendances s’en dégagent finalement: La première axée sur l’environnement, la seconde axée sur l’État.

La «sécurité de l’environnement» peut se décliner pour un État donné, comme une absence de menaces non conventionnelles contre le substrat environnemental essentiel au bien-être de sa population et au maintien de son intégrité fonctionnelle. L’expression de sécurité environnementale comporte alors trois éléments: 1) L’exploitation durable des ressources renouvelables et non renouvelables; 2) La protection des éléments - air, eau, sol, afin d’éviter que la pollution ne fasse échec à la régénération naturelle; 3) La réduction maximale des dangers liés aux activités industrielles.

En effet, le domaine d’application du concept de sécurité de l’environnement couvre l’ensemble des problèmes associés à la protection des éléments - air, eau, sol, à l’exploitation durable des ressources renouvelables et non renouvelables et la réduction des nuisances liées aux activités industrielles. Cette sécurité pourrait être compromise aussi bien par des actes de vandalisme (guerre, éco-terrorisme…), de pollution excessive ou d’exploitation non durable des ressources, que par une intrusion humaine permanente dans certaines régions écologiquement sensibles. Cette conception de la sécurité environnementale procède d’une perspective holistique des relations inter-étatiques: Sa préoccupation principale, c’est la sécurité de la planète prise dans sa globalité. Aussi, s’intéresse-t-on davantage, dans les études privilégiant cette optique aux impacts des problèmes globaux, tels que l’effet de serre, la détérioration de la couche d’ozone et l’appauvrissement du patrimoine génétique. On cherche à savoir comment corriger ces tendances, comment combiner des approches politiques, économiques, technologiques et éthiques, en vue d’ouvrir la voie vers une sécurité globale de l’environnement.

D’autres études abordent la question différemment: L’environnement est considéré comme une variable indépendante, tandis que la sécurité de l’État, qui est mise en cause, agit comme variable dépendante. L’expression sécurité environnementale prend le sens de composante environnementale de la sécurité nationale. 

Ainsi, la corrélation entre la sécurité nationale et sa composante environnementale y est examinée sous deux prismes: Le premier rapport traite des problèmes environnementaux comme facteur principal d’insécurité. Les scénarios sont fondés ici soit sur des affrontements résultant de conflits écologiques locaux ou régionaux (pollution transfrontalière, surexploitation d’une ressource commune, …etc.), soit sur une transformation des rapports de puissance dans une région ou entre plusieurs régions, par suite de perturbations environnementales majeures (changements climatiques, désertification, accidents écologiques,...); le second traite des problèmes d’environnement comme facteurs accessoires d’insécurité. Ici, les antagonismes environnementaux ne portent atteinte à la sécurité nationale que de façon indirecte, en contribuant à exacerber soit des pathologies ou des conflits politiques, économiques, sociaux ou militaires préexistants, ou en rajoutant à ceux-ci une nouvelle dimension.

La Gouvernance Internationale de l’Environnement
La gouvernance semble incontestablement liée à la réalisation du concept de «développement durable» et plus précisément aux interrogations de nature sociétale sur les problèmes environnementaux. La prise en compte des contraintes environnementales apparaît ainsi comme le terrain privilégié d’expérimentation pour une modernisation de l’action publique, se manifestant par l’émergence de nouvelles formes d’organisation et de protection environnementales. Chaque année pourtant, des millions de tonnes de déchets et de substances polluantes sont déversées à la mer. Cette pratique est sévèrement réglementée par des dispositions internationales ou régionales de lutte contre la pollution marine. Mais cette reconnaissance n’a toujours pas généré de véritable droit à l’environnement. 

Ainsi, face aux dysfonctionnements du système et à l’inefficacité des régimes internationaux de protection de l’environnement, la communauté internationale s’efforce depuis 2001, d’élaborer les contours d’une réforme encore ambiguë. Les impasses actuelles depuis le Sommet de Johannesburg (2002), devraient pousser à réfléchir à des modes de gouvernance différents de ceux qui ont servi de modèle et s’avèrent des carcans, plutôt que des moyens d’avancer vers la définition d’un bien commun en matière d’environnement. Cette vision partagée devrait ainsi permettre de tendre vers une solidarité intergénérationnelle, qui donne du sens au concept de «développement durable», tel que globalement formulé par la Commission Brundtland (1987): «Nous empruntons un capital écologique aux générations à venir, en sachant pertinemment que nous ne pourrions jamais le leur rembourser. Le genre humain a pourtant parfaitement les moyens d’assurer un développement soutenable, c’est-à-dire de répondre aux besoins des générations présentes, sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs».

On ne peut parler de précarité des dispositifs internationaux sans aborder la contribution des organisations internationales de gestion de l’environnement. Le processus de consultation et de prise de décisions en matière d’environnement reste, au niveau international, encore très mal agencé. En dépit des liens évidents existant entre environnement, économie et développement, les organisations internationales spécialisées dans ces domaines, telles que la Banque Mondiale (BM), le Fonds Monétaire International (FMI), l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), et l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), ne se sont pas encore dotées des ressources suffisantes, leur permettant d’intervenir efficacement et de façon concertée à l’égard des problèmes globaux d’environnement. Quant au Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), ainsi que le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), s’ils souhaitaient accroître leur rôle, leur statut de simple «programme» les en empêcherait. Pour ce qui est du PNUE proprement dit, sa marge de manœuvre est d’autant plus limitée qu’il n’exerce que des pouvoirs de recommandation. Pourtant, ses initiatives ont été nombreuses, surtout au plan normatif; mais il reste évident, comme l’illustrent ses déconvenues, qu’il ne pourra sortir du cadre des solutions consacrées que lorsque son mandat aura été renforcé et qu’on l’aura doté d’un vrai pouvoir d’intervention.Toutefois, même si certains pays s’opposent à ce qu’il développe une capacité de recherche scientifique indépendante, il existe par contre un consensus sur la nécessité qu’il devienne la principale source d’information sur l’environnement mondial et l’autorité scientifique en la matière. Cette précarité des mécanismes internationaux de gestion de l’environnement a introduit un élément d’incertitude dans le système international, qui a conduit les États à surveiller eux-mêmes leurs intérêts dans le domaine environnemental.

La menace terroriste et la transition écologique 
Ces dernières années, des initiatives de développement d’une économie verte se manifestent un peu partout dans le monde. De plus en plus de mouvements prennent également acte des menaces à l’environnement, de l’urgence écologique et plus généralement, de la place de l’être humain dans son environnement: Gaz de schiste ici, biodiversité menacée là, réchauffement climatique de plus en plus menaçant. Aussi, après le 11 Septembre, a-t-on davantage pris conscience des autres sources de menace dont en particulier la menace terroriste des centrales nucléaires. En effet, le monde occidental est de plus en plus préoccupé par la vulnérabilité d’infrastructures telles que les centrales électriques, les installations nucléaires, les usines chimiques, les méga barrages, les ponts, les pipelines, les réseaux d’adduction d’eau, …etc. La menace d’hyper terrorisme n’est donc plus une simple fiction. Car en Belgique par exemple, des enquêtes datant de 2016 ont établi que plusieurs sites auraient été «étudiés» par la nébuleuse terroriste, que ce soit par des complicités à l’intérieur (quatre habilitations de sécurité auraient été retirées à la centrale de Tihange), par l’infiltration des sociétés de sous-traitance auxquelles cette industrie a massivement recours, ou encore lors d’un incident déjà ancien mais toujours pas encore élucidé, le grave sabotage d’une turbine de la centrale de Doel, en août 2014. 

Et si l’on ajoute à ce répertoire déjà étoffé, le risque de détournement de déchets nucléaires en transit ou en stockage, on comprend que la sortie du nucléaire réduirait considérablement le risque terroriste, tout en libérant des capitaux frais pour les énergies renouvelables (le coût du prolongement des installations est estimé en France à environ 100 milliards d’Euros). Ces dernières (éolien, solaire thermique ou photovoltaïque) ont déjà l’avantage de n’être pas centralisées, de fonctionner en petits réseaux déconcentrés et, donc, de ne pas offrir de cibles faciles ni de matières dangereuses aux intentions criminelles.  Et si l’on s’accorde à dire que le terrorisme a encore de beaux jours devant lui, il serait intéressant d’étendre ce raisonnement à d’autres domaines de la transition écologique, à la lumière des attentats de ces dernières décennies. Car certains projets pharaoniques actuellement contestés en Europe ne sont pas que des gaspillages d’argent public, de terres agricoles, des sources d’émissions de gaz à effet de serre, en contradiction flagrante avec «l’Accord de Paris», mais aussi de redoutables cibles terroristes. Aussi, des mouvements, des communautés et des régions devraient-ils s’engager directement sur le terrain économique, en négociant avec leur État pour favoriser des politiques publiques conséquentes. Il convient donc d’agir nécessairement dès maintenant, en faveur d’une accélération de la reconversion écologique de l’économie. 

Conclusion
Les problèmes reliés à l’environnement sont essentiellement traités comme des menaces éventuelles. Les pressions environnementales et la rareté des ressources seront les générateurs des futures instabilités à l’intérieur des États et des conflits sur la scène internationale. Ainsi, comme on peut le constater, le concept de sécurité environnementale trouve sous chacune des deux tendances analysées, un champ d’application extrêmement vaste: Une première qui utilise la notion de sécurité environnementale pour redonner du souffle aux relations internationales. Elle met surtout l’emphase sur la compétition et les conflits inter-étatiques pour l’acquisition de ressources naturelles stratégiques; l’autre tendance met l’emphase sur la dégradation de l’environnement préjudiciable à l’intégrité fonctionnelle des États et au bien-être des populations. Mais cela ne va pas sans soulever certaines difficultés quand vient le temps de rendre le concept opérationnel. En définitive, même si l’apport analytique de la notion de sécurité environnementale semble plutôt faible à première vue, ses dimensions instrumentales et psychologiques méritent plus d’attention. Car si les modifications environnementales peuvent contribuer à l’exacerbation des conflits ou des pathologies, c’est bien dans la mesure où les changements environnementaux favorisent l’émergence d’un sentiment d’insécurité qui peut être utilisé comme instrument de politique intérieure ou extérieure.

La gouvernance a également mis en évidence le fossé qui existe entre sécurité environnementale et développement durable. La «bonne gouvernance» suppose des changements structurels et un ensemble d’innovations qui vont manifestement très au-delà du bricolage opportuniste et des « arrangements de terrain » dans lesquels elle s’est généralement cantonnée. Cette remarque ne semble pas devoir être limitée au seul cas de l’environnement. Elle devrait sans trop de difficultés pouvoir s’appliquer à la plupart des domaines de l’action publique, et notamment - c’est l’hypothèse que l’on fera ici pour conclure - à la «gouvernance environnementale ou territoriale».