Au cours des dernières années, la communauté internationale a été témoin d’une augmentation significative de l’exposition des enfants à l’exploitation et au recrutement aux mains de groupes extrémistes et terroristes. De nombreux rapports internationaux ont mis en exergue ce phénomène inquiétant. Cet article traite ce phénomène et en examine les facteurs religieux et ethniques, les motivations criminelles et les prétextes qui sous-tendent cette problématique.

Exploitation omniprésente
Selon les rapports de l’ONU, le groupe terroriste Boko Haram a recruté et exploité près de 8000 enfants au Nigeria entre 2009 et 2018. Rien qu’en 2015, les Nations Unies ont documenté environ 275 cas d’enfants recrutés par l’organisation terroriste Daech en Syrie. En Somalie, un rapport de l’ONU a déclaré que le Mouvement Somaliens des Shebabs avait recruté et exploité jusqu’à 2228 enfants et 72 filles en 2018. Des groupes terroristes en République Centrafricaine ont exploité 291 enfants et en République démocratique du Congo 1049 enfants. Au Yémen, le Forum arabo-européen pour les droits de l’homme a présenté à la 42ème session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, qui s’est tenue en mai 2020 dans la capitale suisse, Genève, un mémorandum révélant le recrutement par des groupes armés d’environ 23.000 enfants yéménites dans le pays. La région du Sahel africain enregistre toujours le recrutement continu d’enfants dans des organisations terroristes. L’UNICEF a documenté le meurtre de 150 enfants au premier semestre 2019.

Selon un document de recherche de l’Institut du Moyen-Orient, l’organisation iranienne Basij fondée peu après le déclenchement de la révolution islamique et passée sous l’autorité des Gardiens de la Révolution en 2007, recrute et forme des combattants, dont des enfants, parmi les Gardiens de la Révolution. Selon le site Web du Trésor américain, en plus des citoyens iraniens, le Basij recrute également des immigrants afghans, dont des enfants de 14 ans à peine, pour rejoindre la brigade Fatemiyoun, un groupe de combat armé sous le contrôle des Gardiens de la révolution en Syrie. Il en recrute d’autres dans la brigade Zainabiyoun, un groupe de combat qui comprend des ressortissants pakistanais sous le contrôle des Gardiens de la révolution en Syrie.

Le rapport de l’Inspection générale du département américain de la Défense (Pentagone) a indiqué que les Forces démocratiques syriennes, dominées par le parti YPG/PKK, continuent de recruter dans leurs rangs des enfants détenus de force dans les camps de réfugiés de nord-est de la Syrie.

Motifs de recrutement d’enfants
Les organisations extrémistes et terroristes cherchent à attirer les jeunes enfants, sains d’esprit et innocents de nature pour attiser leurs sentiments, leur inculquer l’inéluctabilité du combat et son caractère sacré et leur insuffler aux cœurs la passion de la violence, pour pouvoir les transférer sur les champs de bataille et en faire des outils de mort dociles.

Les groupes terroristes exploitent les enfants et les adolescents faciles à endoctriner et moins susceptibles de résister à cette intoxication. Ils sont mieux disposés à accepter l’idéologie de la haine et à subir les programmes de violence et de lavage de cerveau. On leur fait regarder les clips vidéo d’exécutions et de meurtres et on les exhorte à mener des opérations terroristes. On leur inculque les comportements agressifs et barbares et on les rend plus loyaux et soumis dans l’exécution des ordres, de sorte à les transformer en bombes humaines suicidaires.

De plus, les enfants sont moins sujets à méfiance et leur exploitation permet souvent d’accomplir discrètement des tâches délicates. De même, l’aspect économique joue un rôle car les salaires des enfants sont bien inférieurs à ceux des jeunes hommes et femmes.

On peut séduire les enfants avec des cadeaux, les placer dans des camps de prédication et leur permettre de jouer avec des armes. Certains enfants peuvent être kidnappés et recrutés à l’insu de leurs parents, tout autant que des orphelins ou des enfants de rues. Les organisations terroristes n’hésitent pas à recruter via Internet et les réseaux sociaux des enfants, proies faciles à la recherche de divertissements, de découvertes et de communication avec les autres.

Les organisations extrémistes et terroristes invoquent des prétextes fanatiques idéologiques, religieux et ethniques pour justifier le recrutement d’enfants. Les recrues infantiles sont formées à faire la guerre. Des contingents de garçons sont promus à se battre, dès l’âge de 16 ans. Ils sont souvent recrutés dans les groupes de kamikazes ou d’espions pour leur capacité à se déplacer, se cacher et se faufiler, ou pour des missions de soutien et d’aide, telles que les coursiers et les observateurs.

​Daech et les Louveteaux du Califat
Le terme (Louveteaux du Califat) utilisé par l’organisation terroriste Daech concerne les jeunes candidats au recrutement. Les rapports des Nations Unies ont indiqué que l’organisation terroriste Daech, la plus grande recruteuse et manipulatrice d’enfants, a recruté 4000 enfants rien qu’en Syrie depuis ses débuts à Raqqa, en Syrie, fin août 2014.

Daech a utilisé ces enfants comme espions et éclaireurs, ou pour poser des bombes et des mines, et en a fait des combattants et des kamikazes. Les vidéos de propagande du groupe montrent de jeunes enfants décapitant et tirant sur des prisonniers. Certains de ces enfants ont été endoctrinés par Daech pendant des années, à travers des cours organisés dans des camps spéciaux pour qu’ils s’entraînent au combat et fabriquent des explosifs.

Le dilemme des (Louveteaux du Califat) existe toujours, notamment avec la présence d’un grand nombre d’enfants détenus dans des centres surpeuplés en Syrie, (camp d’Al-Hol), ou en Irak à Ninive. Peter Neumann, directeur du Centre international pour l’étude de la radicalisation au Collège Royal de Londres, a déclaré qu’au moins 13.000 adeptes étrangers de Daech sont détenus en Syrie, dont 12.000 femmes et enfants. En Irak, 1400 enfants y sont également détenus. Cependant, plusieurs pays, dont la Russie, le Kosovo, le Kazakhstan, l’Indonésie et la France, ont réussi à rapatrier certains de leurs citoyens. D’autres pays ont préféré séparer les enfants de parents extrémistes, les placer chez leurs proches, ou dans des foyers d’accueil ou d’adoption.

Certains pays, comme la Jordanie exigent que les enfants nés dans le soi-disant (califat) subissent un test ADN pour prouver leur filiation, puis leur nationalité, avant de retourner dans leur pays d’origine. D’autres pays, comme la Tunisie, ont refusé de rapatrier leurs citoyens, laissant au moins 200 enfants tunisiens et 100 femmes en Syrie et en Libye, selon Human Rights Watch.

La légende de Joseph Kony
Historiquement, la région du nord de l’Ouganda habitée par le peuple Acholi, imprégné de symboles et de valeurs spirituelles et saturée d’esprits, de fantômes et de forces occultes, a vu naître de nombreuses rébellions dont notamment (Le Mouvement du Saint-Esprit), fondé par “Alice Lucina” en 1985, une femme qui a prétendu avoir des capacités surnaturelles, comme de guérir les patients. Lucina a ensuite créé le (Mouvement du Saint-Esprit), qui disait que le peuple Acholi était menacé d’extinction et que sa survie nécessitait un pouvoir surnaturel des Acholi, mais ce mouvement s’est rapidement désintégré en 1987.

Ce mouvement et similaires ont inspiré en 1988 Joseph Kony à établir son mouvement appelé Armée de Résistance du Seigneur (LRA). Les idées et les croyances du mouvement oscillent selon le bon vouloir e Kony. Parfois, il croit au christianisme et rejette la magie et la sorcellerie, et parfois il pratique des rituels religieux. Dans l’ensemble, le mouvement représente un mélange syncrétique de mysticisme, de nationalisme acholi et de fondamentalisme chrétien. Il cherche à renverser le régime ougandais et prétend établir un État (théocratique) basé sur les traditions acholi, les lois de la Bible et les dix commandements bibliques. Il est à présent classé organisation terroriste mondiale.

Kony a prétendu être un prophète, parler au nom du Seigneur et être un médium spirituel visité par les esprits! ! Certains croient en lui mais d’autres ne voit en lui qu’un simple charlatan menteur à la tête de fanatiques, combinant pêle-mêle les contradictions du mysticisme religieux, les méthodes du gangstérisme et la haine tribale sanguinaire. Malgré les tentatives de l’attraper, il est toujours en fuite.

La LRA a subi défections et défaites, mais elle continue d’attaquer les civils dans les zones frontalières du Congo, du Centrafrique, du Soudan du Sud et du Soudan. Bien qu’elle ne soit plus considérée comme une menace militaire majeure, ses cellules affiliées continuent toujours leurs exactions. En 2019, elle a kidnappé environ 222 personnes, dont des dizaines d’enfants.

En 2012, des millions de personnes dans le monde connaissaient la LRA à travers un film réalisé par l’organisation américaine à but non lucratif Invisible Children et qui a fait plus de 100 millions de vues. Le documentaire traite du phénomène des enfants recrutés par le LRA et son chef sanguinaire Joseph Kony.

En mai 2013, les Nations Unies ont publié un rapport indiquant que la LRA est responsable de la mort de plus de 100.000 personnes au cours des 25 dernières années, et de l’enlèvement et de l’esclavage de 60.000 à 100.000 enfants (environ 80% de l’Armée du LRA seraient des enfants kidnappés et les filles sont exploitées sexuellement). Deux millions et demi de citoyens environ ont été contraints de fuir les exactions de la LRA et vivre dans des camps sur l’aide humanitaire internationale.

La LRA est toujours active dans le recrutement, la coercition et l’endoctrinement d’enfants au discours de haine et d’extrémisme. Les enfants sont souvent kidnappés dans les villages, et brutalement recrutés. Mais avec les nouveaux développements et les pressions militaires, un changement s’est produit dans le récit religieux du mouvement. Joseph Kony et ses acolytes fugitifs sont passés de la doctrine du meurtre au nom de Dieu au meurtre criminel tout court afin de survivre.

Kony ne semble pas disposé à battre en retraite, mais d’autres le sont, cependant ils sont frustrés et ont peur de le faire, car d’après les récits des dissidents, ils ne savent plus où aller! D’autres craignent les représailles de la population locale ou des forces nationales civiles et militaires.

À l’heure actuelle, la LRA demeure une force mortelle qui entrave l’instauration de la sécurité et de la stabilité. La présence de cette armée dans les forêts du Congo, au Sud-Soudan et en République centrafricaine semble maintenir les habitants de ces pays dans un état de peur constante, les empêche de pratiquer l’agriculture et entrave les autres activités quotidiennes de survie. Au cours des deux dernières années, la production alimentaire a été gravement réduite dans ces régions auparavant considérées comme le principal grenier à blé d’une région comme le Soudan du Sud.

Conclusion
À la lumière de l’apathie de la communauté internationale à apporter des solutions radicales, le phénomène de recrutement et d’exploitation d’enfants par les organisations extrémistes et terroristes et les parties en conflit ne devra pas prendre fin de sitôt. Car il devra persister tant que persistent les conflits. Inculquer aux enfants la pensée agressive et fanatique rendra la tâche de l’extirper très difficile, et leur réhabilitation ne nécessitera pas peu de temps, ce qui fait que le monde devra s’attendre à une nouvelle génération de terroristes qui ne connaît que les scènes de décapitation et de mutilation de cadavres, et à un niveau de violence et de terrorisme plus dangereux que ce que le monde connaît actuellement.