Les pays d’Afrique de l’Ouest se sont tournés vers l’affrontement militaire face à l’exacerbation du phénomène du terrorisme international transfrontalier qui a bénéficié de la mondialisation et de la révolution des télécommunications ayant réduit les frontières entre les pays. Mais cet affrontement n’a pas réussi à repousser les attentats terroristes et empêcher le terrorisme d’étendre ses opérations vers les pays de la région qui s’étendent sur de vastes zones. Le dilemme des solutions militaires dans cette région et la manière de surmonter ces obstacles découlent de cette situation que nous présentons dans les lignes qui vont suivre.

Dilemme de l’échec de la solution militaire
Affronter militairement le terrorisme en Afrique de l’Ouest n’a pas été une mince affaire, car les défis qui ont entravé la solution militaire et empêché son succès sont nombreuses pour des raisons telles que :

1) Interférences des conflits 
Les conflits entre les différents groupes ethniques, les organisations terroristes et les gouvernements se chevauchent dans la plupart des cas en Afrique de l’Ouest, de sorte que les frontières entre les terroristes semblent floues, ce qui complique la confrontation du terrorisme, empêche les observateurs de dresser une carte claire de ce qui se passe, sur la base de la géographie et des conditions locales et conduit à des problèmes majeurs et récurrents, notamment à la lumière des changements continus de la situation sécuritaire et politique dans la région. Le conflit dans la région se caractérise souvent par les rivalités anciennes, le trafic, les activités d’autodéfense et le terrorisme violent, alors que l’incertitude entre les acteurs non étatiques - groupes supposés distincts – aggrave la situation, notamment avec l’aide que la France apporte au Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), pour l’aider à combattre les groupes terroristes.

2) Carte terroriste complexe
La carte complexe du terrorisme augmente le dilemme dans la région. L’activité des organisations terroristes se concentre dans les zones frontalières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, zone du Sahel que l’on appelle «Triangle Liptako-Gourma», devenue le centre des activités transfrontalières des groupes extrémistes. En mars 2017, les principaux groupes de la région, à savoir : Ansar Edine, le Front de libération du Macina, l’organisation Al-Mourabitoun, et l’aile saharienne d’Al-Qaida au Maghreb Islamique, ont annoncé avoir formé une alliance sous l’étendard de la nouvelle entité «Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM)», qui s’est déclarée aile officielle d’Al-Qaïda au Mali.

Le groupe “Boko Haram” créé dans le nord du Nigeria en 2002, s’est développé en une violente rébellion en 2009, ayant entraîné la mort d’au moins 25 000 personnes et le déplacement de centaines de milliers. Il est actif au Nigeria, au nord du Cameroun, au Niger et au Tchad.

L’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) a été créé en 2015. Il a incorporé sous sa bannière le Mouvement d’unification et de djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), reconnu l’année d’après comme sa branche officielle dans la région.

Ansar al-Islam est apparu au Burkina Faso depuis décembre 2016, lorsqu’il a revendiqué l’attaque contre une base militaire dans la commune de Som au nord-est du pays, dans laquelle 12 membres de l’unité antiterroriste ont été tués.

Les opérations d’Al-Qaïda au Maghreb islamique se chevauchent également dans cette région avec les activités du Front de libération Macina, qui comprend les différentes composantes de l’Azawad ethnique.

La faction «Unification et Jihad en Afrique de l’Ouest» dirigée par Ahmed Ould Al-Amer, et «Les signataires au sang» dirigée par Mokhtar Belmokhtar, ont fusionné en août 2013 sous le nom «Al-Mourabitoun». Après la mort du chef du groupe Ahmed Al-Amer, son successeur Abu Al-Walid Al-Sahraoui a prêté allégeance en mai 2015 à Daech. Mais Mokhtar Belmokhtar a publié une contre-déclaration niant avoir rejoint Daech et renouvelant le serment d’allégeance à Al-Qaïda et à son chef Ayman al-Dhawahiri. Cela a conduit à l’escalade du conflit entre les deux parties, qui a pris fin avec le renversement d’Abu Al-Walid Al-Sahraoui et Belmokhtar assumant la direction du groupe.

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3) Acteurs non étatiques
Le recours aux solutions militaires est également compliquée par la présence de nombreux acteurs non étatiques, tel le «Conseil de coordination des mouvements de l’Azawad», une alliance lâche d’anciens mouvements rebelles ayant des intérêts communs, et la «Coalition des groupes armés», qui comprend les Touaregs Imghad et leurs alliés, une branche du «Mouvement arabe de l’Azawad» et du «Conseil de coordination des mouvements et le Front national de résistance». Ces entités comprennent également : «l’Alliance Ifoghas des clans Touareg», la «Conférence pour la justice en Azawad» dans la région de Tombouctou, le «Mouvement pour le salut de l’Azawad» dans la région de Ménaka, et «l’aile dissidente du Conseil de coordination des Mouvements et Front National de Résistance».

Avec la mise en place des groupes d’autodéfense «Vigilante» au Nigeria, au Cameroun, au Niger et au Tchad, des inquiétudes ont été soulevées quant à leur impact dans la complication de la situation, selon un rapport du Groupe de crise International publié en février 2017, sur ce phénomène dans la région du lac Tchad.

4) Fragilité des structures sociales
Les solutions militaires dans la région ouest-africaine échouent car de vastes zones les plus pauvres du monde dans cette région aux différences tribales et religieuses multiples ne sont pratiquement pas soumises à l’autorité des États. 

5) Taux de pauvreté élevés
La pauvreté y intensifie les conflits politiques et sociaux dans cette zone, affaiblit les solutions militaires et conduit à un environnement propice à l’expansion du terrorisme, en plus de l’élargissement du fossé entre les extrants des systèmes éducatifs et des marchés du travail, la détérioration des droits de l’homme et des valeurs de justice, la raréfaction des opportunités de participation politique, sociale et économique, la détérioration de la situation environnementale, l’instabilité politique et la multiplication des guerres, conflits, et coups d’État militaires.

Les taux élevés de pauvreté en parallèle avec l’augmentation de la population dans les pays d’Afrique de l’Ouest ont conduit à la propagation du terrorisme à grande échelle. Selon les statistiques onusiennes, le Niger est le deuxième pays le plus pauvre du monde avec 63%, tandis que le taux de pauvreté est de 80% au Mali, 64% au Tchad et 40% en Mauritanie, aggravé par la désertification et la sécheresse résultant du manque de pluie. Plus de 13 millions de personnes dans les pays de la région ont besoin d’une aide humanitaire d’urgence, cinq millions de plus que le nombre enregistré au début de l’année.

6) Interférences ethniques et tribales
La région ouest-africaine se caractérise par la pluralité des tendances extrémistes parmi des dizaines de tribus, en une sorte de chevauchement entre ce qui est tribal, ethnique, et idéologique, ce qui fait de la région un centre actif et diversifié de divers groupes criminels et d’organisations terroristes aux divers idées, visions, buts et objectifs, ce qui contribue à l’échec de l’option militaire.

Ainsi au passé, les Touaregs au Mali étaient considérés comme un bouclier contre Al-Qaïda au Maghreb islamique et l’extrémisme terroriste au nord, mais le groupe Ansar Edine, fondé en 2012 a hissé la bannière de la rébellion Touareg, puis adopté les idées extrémistes en 2017. Julie Coleman, chercheuse sur les mouvements extrémistes en Afrique estime qu’un grand nombre de citoyens de ces pays pensent qu’Al-Qaïda et Daech sont deux forces d’opposition qui compensent l’absence de démocratie, et que rejoindre l’un ou l’autre constitue un message face à la répression de l’opposition légale dans le pays.

7) Impact de l’augmentation du crime organisé
Les vastes zones échappant à l’autorité de l’État dans la région ouest-africaine ont permis à l’activité criminelle de prospérer, avec la complicité de certains responsables et la volonté des gouvernements occidentaux de payer des rançons, ce qui a contribué depuis 2003 à l’expansion des enlèvements et de la contrebande dont le trafic de gomme de haschisch marocaine et de cocaïne.

Certains dirigeants maliens ont profité de la situation pour exercer leur influence. Suite à l’enlèvement des touristes européens en 2003, les gouvernements malien et européen se sont appuyés sur le leader Touareg et ancien rebelle Iyad Ag Ghali, le chef du groupe Ansar Edine lié à Al-Qaïda, et le maire de Tarkint Baba Ould Cheikh pour jouer les médiateurs aux négociations pour le paiement de la rançon.

Début 2008, ce commerce s’est épanoui avec l’apparition dans les affaires d’otages, de médiateurs terroristes qui se sont accaparés une grande partie des rançons partagées avec les politiciens qui les ont protégés. Ces interférences entre terrorisme idéologique, crime organisé et politiciens corrompus se sont accrues et ont contribué à fragiliser l’option militaire.

Dépasser les solutions militaires
Les solutions de lutte contre le terrorisme dans les pays d’Afrique de l’Ouest reposaient sur les efforts militaires dont l’accord conclu par le Groupe du Sahel en février 2014 à Nouakchott comprenant la formation d’une force de 3000 soldats, la création de la task force de Takuba par la France et ses alliés européens et africains, et la force des Casques bleus de l’ONU pour le maintien de la paix.  

Les pays d’Afrique de l’Ouest ont besoin en fait de solutions autres que militaires, selon les étapes suivantes :

A- Collecte d’informations:
Il est nécessaire de préparer un réseau d’information électronique et humain sur les groupes et individus extrémistes, contenant des informations précises sur les points de faiblesse et de force de ces groupes terroristes, en plus d’intercepter, collecter et analyser leurs correspondances, pour les évaluer et pouvoir prédire leurs plans futurs, notamment pour le recrutement, la formation, les références intellectuelles, les sources de financement, l’armement, le soutien logistique et les références sociales et tribales relatives aux éléments et aux dirigeants.

B- Infiltration et harcèlement des organisations 
Cette étape fait suite à la collecte des informations. Il est possible de bénéficier de la carte complexe de ces organisations qui se livrent des batailles intestines comme celles opposant Daech dirigé par Abu Al-Walid Al-Sahraouii et Al-Qaida dirigé par Iyad Ag. Ghali, et de recruter des éléments dissidents pour les opérations d’infiltration, en particulier ceux qui fuient actuellement de Syrie et de Libye vers les refuges tribaux pour rejoindre les réseaux intérieurs.

C- Changer le cours du terrorisme 
Après les première et deuxième étapes, changer le cours du terrorisme passe par le tarissement des sources de financement (contrebande, rançons, otages), et le soutien des dissidences, via la propagande intensifiée sur les divergences, et le ciblage de la base tribale des groupes, en rompant leurs liens avec les chefs tribaux, en semant la zizanie entre eux ou en neutralisant certains d’entre eux.

Conclusion
Pour pouvoir affronter les organisations terroristes en Afrique de l’Ouest, il faudrait surmonter les problèmes susmentionnés dont notamment : le crime organisé, les troubles tribaux, la fragilité des États et la pauvreté, pour pouvoir ensuite démanteler ces groupes, selon plusieurs de confrontation qui convergent simultanément avec les efforts militaires.